JOELLE BROHIER, PRESIDENTE DE RSE&PED

Nous sommes au service des acteurs de la RSE en Afrique, pour leur permettre une approche à la fois différentiée selon le contexte culturel et intégrée dans le cadre des accords et des normes internationaux

Ils-elles ont créé des entreprises à impact positif, pilotent la responsabilité sociétale dans leur société, forment aux pratiques respectueuses du vivant, organisent la réflexion et la coopération. Ce sont les acteurs de l'économie positive en Afrique.

Nous sommes heureux de leur donner la parole.

AGADD : Quelle est l'actualité de l'association et quel projet vous mobilise en tant que présidente en ce moment ?

Joëlle Brohier : Nous nous concentrons sur le cycle "Finance Responsable" qui vient de démarrer avec un nombre record de participants. Il est ouvert à tous comme l'ensemble de nos contenus, mais il vise en particulier les entreprises africaines pour délivrer un message : une politique de responsabilité sociétale est bénéfique sur le plan social et environnemental, mais aussi sur le plan économique car elle ouvre à l'entreprise de nouvelles possibilités de financement. Les six rencontres en ligne qui s'échelonnent jusque juin donneront les connaissances de base sur les financements responsables et la manière d'y accéder via les politiques de RSE. Ces fonds sont peu sollicités par défaut d'information et de formation sur ce sujet en Afrique, il faut combler ce déficit !

En tant que présidente, je prépare également la prochaine réunion du CA, qui se fera en ligne vu les circonstances, pour définir les développements de l'association dans les prochaines années.

AGADD : Quelle est la mission générale de RSE&PED ?

J.B : Nous avons créé l'association en 2006 avec ma sœur Chantal, pour contribuer à l'émergence de la responsabilité sociétale des entreprises dans les pays en développement. C’est une idée qui me tient à cœur en tant que professionnelle de la RSE ayant longtemps vécu à l'étranger, en Asie notamment. Pendant les premières années de l'association nous avons développé le site RSE&PED comme un centre de ressources et nous avons mis sur pied des rencontres, physiques ou en ligne. La journée connectée que nous avions organisée avec l'Afrique en amont de la COP 21 a été un événement marquant pour moi : six villes en Afrique et cinq en France réunies sur internet pour discuter des enjeux des changements climatiques en Afrique, dont nous avons porté les conclusions à la COP21 au Bourget. Le forum sur la RSE en Afrique de l’Ouest organisé fin 2018 à Lomé, avec notre partenaire togolais, Valora SSE, a été également un beau moment.

Il y a trois ans nous avons introduit des changements importants dans la stratégie. Nous sommes passés de l'information à la sensibilisation et la formation en créant les cycles de webinaires. Nous avons également concentré nos actions vers l'Afrique. Ces deux orientations nous ont été suggérées par nos bénéficiaires car c'est avec l'Afrique que nous avons eu le plus d'interactions, avec de nombreuses demandes d’aide pour monter en compétence.

Notre mission aujourd'hui c'est donc de permettre la multiplication des pratiques de RSE au sein des entreprises africaines et de toutes celles qui exercent sur le continent pour contribuer aux ODD. La stratégie est validée par notre conseil d’administration : douze femmes et hommes de profils variés : ancienne syndicaliste, managers de la RSE, dirigeants d'ONG ou consultants en Droits Humains. Parmi ces administrateurs, quatre sont africains.

Joelle Brohier au Forum sur la RSE en Afrique de l'Ouest, en décembre 2018 à Lomé.

Joelle Brohier au Forum sur la RSE en Afrique de l'Ouest, en décembre 2018 à Lomé.

AGADD : Avec quelle équipe et quels partenaires fonctionne la structure ?   

J.B : Pour rester cohérent avec nos orientations nous avons transféré l'organisation des webinaires, une partie essentielle de l'activité, à nos *partenaires africains. Nous les formons et leur apportons l'appui qu'ils souhaitent pour leurs initiatives. Par exemple Valora SSE va lancer à Lomé un centre de ressources sur la RSE. Nous lui amenons du contenu, de la mise en réseau, des idées et de la facilitation.  

Nos soutiens en France apportent une expertise pointue et nous aident à inviter des intervenants : nous avons travaillé avec Handicap International pour le dernier cycle qui portait sur l'intégration des travailleurs en situation de handicap, avec Sherpa et DDH pour le cycle sur les Droits humains et le Devoir de Vigilance mais aussi avec B&L Evolution, FSC France, ou l’Association Bilan Carbone. D'autres acteurs français, dont l’AFD, la Région Bretagne ou la Francophonie nous financent, de manière récurrente ou ponctuellement sur un sujet qui les intéresse. 

Les intervenants des webinaires, près de quatre cent à ce jour, sont aussi une pierre angulaire de l'écosystème. Plus de la moitié sont des femmes et nous en sommes très fiers parce que cette représentation participe en même temps à l'égalité des genres. Nous donnons bien sûr la parole à des acteurs africains qui manquent souvent de visibilité, et que cela ouvre à de nouveaux publics.  

AGADD : Quel est le public des webinaires ?

J.B : Nous avons enregistré environ cinq mille participations depuis le début des webinaires, à raison de cinquante personnes en moyenne par séance. Le public est essentiellement en France et en Afrique. Il est constitué aux trois quarts de professionnels en entreprises, de représentants d’ONG et de consultants, et pour le quart restant, d'étudiants et d'enseignants, d'acteurs publics, de médias, etc. Soit une représentation variée, ce qui fait partie de notre mission. Il nous est arrivé d’avoir un public plus spécifique, par exemple pour le cycle que nous avons fait avec Canal + sur le leadership féminin dans l'économie africaine : l’audience était plus africaine et féminine, avec une forte représentation de journalistes et d'acteurs de la culture.

Notre vocation est de sensibiliser et donner des repères car il n'y a pas de passage à l'acte sur la RSE tant que l'importance du sujet pour l'entreprise n'est pas comprise. Nos apports sont pensés dans le contexte africain, mais restent des connaissances "sur l'étagère", à adapter à un secteur, une problématique ou une entreprise en particulier en mobilisant d'autres expertises. Nous proposerons peut-être un jour des formations payantes mais pour l'instant la gratuité et l'accessibilité à tous sont les principes de base convenus avec notre partenaire AFD. Reste bien sûr le sujet de la connexion internet et de la disponibilité de l'ordinateur ou du smartphone qui n’est pas résolu partout.

AGADD : Quelles orientations pour RSE&PED dans les prochaines années ?

J.B : Nos partenaires locaux et les financeurs nous poussent à intégrer la notion d'impact, donc à savoir mesurer les changements que génèrent nos actions dans les pratiques en Afrique. Nous lancerons une consultation d'envergure n juin prochain auprès de tout notre public.

L'autre axe qui s'est dégagé est un besoin de visibilité de notre communauté africaine. Une série d'interview des partenaires locaux est en cours de diffusion sur nos réseaux sociaux, mais nous sommes intéressés par tout ce que font les acteurs de la RSE sur le continent, dont nous pouvons nous faire l'écho.

Il nous faut tenir compte aussi du contexte actuel : le Coronavirus, autant pendant la crise que pendant la longue période qui la suivra, révélera j'en suis sûre la pertinence des engagements des entreprises dans la RSE, concernant la santé et le bien être des collaborateurs, la capacité à co-construire les solutions avec ses parties prenantes, ou la dynamisation de la production et de l'économie locale … La pandémie nous pousse aussi à innover toujours plus avec les outils digitaux. Comme toujours nous discuterons avec nos partenaires, mais nous pourrions organiser une journée connectée "la RSE en Afrique après le Covid" en octobre ou novembre.

Si je projette RSE&PED dans trois ans, c'est une implantation en Afrique plus importante, avec des réseaux locaux dans de nouveaux pays. Davantage d'interactions avec les entreprises mais aussi plus d'actions de sensibilisation en direction de la société civile qui doit devenir une partie prenante essentielle du dialogue avec les entreprises. L'Afrique restera notre cible car les demandes sont considérables et peu d'acteurs sont présents sur le sujet, mais nous aimerions contribuer à la création de réseaux qui dépassent les frontières du continent.

Forum sur la RSE en Afrique de l'Ouest, en décembre 2018 à Lomé.

Forum sur la RSE en Afrique de l'Ouest, en décembre 2018 à Lomé.

AGADD : On entend souvent que la RSE est un concept occidental et que son importation en Afrique ne va pas de soi. Quelle perception avez-vous de ce sujet ?

J.B : En effet, il y a une problématique que les travaux académiques mettent bien en évidence. Je pense qu'il y a toujours une dimension culturelle, locale, qui doit être prise en compte dans la définition des plans d'action de RSE. Cette expression singulière permet de garantir l'appropriation des politiques par les salariés et par tout l'écosystème local de l'entreprise. Elle est aussi féconde car elle amène une diversité de pratiques. Mais elle doit se faire dans le cadre défini par les institutions transnationales sur les plans sociaux et environnementaux. Ces travaux sont le fruit de consensus bâtis au niveau mondial souvent après de longues années de consultations, ils sont un socle pour l'action générale. Nous sommes au service des acteurs de la RSE en Afrique, pour leur permettre une approche à la fois différentiée selon le contexte culturel et intégrée dans le cadre des accords et des normes internationaux. Dans cette articulation entre local et global, le dialogue avec les parties prenantes, si important dans les politiques de RSE et souvent si difficile à mettre en œuvre, reste la clé !

AGADD : Un message à passer aux acteurs en Afrique qui veulent développer la RSE ?

J.B : Beaucoup d'entreprises veulent se lancer, j'en ai fréquemment des témoignages. Nous préconisons de ne pas attendre : il faut démarrer, même à petite échelle. Et surtout le faire en impliquant rapidement d'autres personnes, pour comprendre quelles sont les valeurs humaines, sociales, environnementales de l'entreprise et construire à partir de là car on ne part jamais d'une table rase. Le deuxième conseil est de contacter nos partenaires locaux et nous-mêmes pour que nous puissions proposer nos contenus et nos contacts.

*Partenaires africains à ce jour  Hind Aït Mhamed (Maroc), Valora SSE (Togo), RSE-Bénin (Bénin), Go Africa Business (Cameroun), RS Consulting (Sénégal), ILDI (RD Congo)

Retour à l'accueil