"Le transport de fret met en relation des acteurs en Europe et en Afrique, le transitaire est le lien entre eux. A partir de cette position nous voulons promouvoir une nouvelle vision du commerce international, utiliser l’échange de marchandises comme un support de coopération et non comme une fin"

Guillaume Dumoulin, co-fondateur de Terre Transit, en charge du Développement et des Coopérations.

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Ils-elles ont créé des entreprises à impact positif, pilotent la responsabilité sociétale dans leur société, forment aux pratiques de production respectueuses de l’homme et de l’environnement, organisent la réflexion et la coopération...Ils sont les acteurs de l'économie positive en Afrique. Nous sommes heureux de leur donner la parole.

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Quelle est l'activité de Terre Transit et pourquoi avoir choisi ce statut de SCOP qui fait des salariés les associés de l'entreprise ?

Terre Transit est une entreprise spécialisée dans le fret à destination de l'Afrique, du Moyen-Orient et plus généralement des pays du sud. Nous l'avons créée à Rouen en 2016. Fonder une société de transit ex-nihilo est très rare, surtout quand elle repose sur les fonds propres des associés qui plus est en SCOP, c’est donc notre première originalité ! Le principe coopératif de la SCOP, « un homme, une voix » signifie que l’entreprise appartient à ceux qui la font vivre, c’est-à-dire ses salariés. J'ai convaincu assez rapidement mes trois co-fondateurs que c’était le modèle qui nous convenait : nous voulions que la future équipe de salariés appelée à nous rejoindre soit composée de gens responsables, épanouis et impliqués au quotidien dans l’entreprise.

Au-delà de cette réflexion sur le statut, le sens que nous donnons à notre activité est très important pour nous. Nous avons travaillé pendant un an en amont de la création de l'entreprise pour bien comprendre les enjeux de cette activité. Ils sont nombreux et essentiels : l’humanité s’est construite sur les échanges commerciaux. Maîtriser le fret et le transit d’un point de vue compétence et modèle économique nous semble central et pérenne. Il suffit de voir ce qu’un blocage des transports de quelques jours peut amener comme pénurie et comme désordre pour le comprendre. Ensuite nous voulons donner une autre dimension à cette activité. Le transport de fret met en relation des acteurs en Europe et en Afrique, le transitaire est le lien entre eux. A partir de cette position nous voulons promouvoir une nouvelle vision du commerce international : utiliser l’échange de marchandises comme un support à la coopération et non comme une fin.

Avec quels pays travaillez-vous, particulièrement en Afrique, et qui sont vos clients ?

Nous travaillons en Europe et avec toute l’Afrique subsaharienne francophone, de la Mauritanie jusqu’au Congo en passant par tous les pays enclavés, le Burkina, le Mali... Quand on est transitaire il n’y a pas de limites géographiques, les seules restrictions sont les contacts sur place qu’on a ou pas. Ils sont essentiels pour permettre la fluidité dans les échanges et la sécurité des marchandises. Ces contacts fiables à destination, c’est ce que les entreprises qui travaillent avec l’Afrique attendent de nous. Ces exportateurs sont notre première typologie de clients depuis l’Europe. La deuxième est la diaspora africaine qui envoie du matériel pour soutenir le développement ou commercer avec les régions d’origine, et la troisième les ONG, qui sont davantage des projets « coup de cœur » pour nous : peu de transitaires les prennent en charge car c’est difficilement rentable économiquement.
Depuis l’Afrique, nos clients sont des chefs d’entreprise. Ils ont la caractéristique de gérer souvent plusieurs secteurs d’activité et de s’impliquer fortement dans le développement de leur communauté. Il est complexe pour eux de piloter la logistique avec parfois un fournisseur à Reims, un autre à Marseille, un autre à Barcelone... Avec notre siège en France, notre réseau de fournisseurs très large et notre entrepôt de 5000 mètres carrés à proximité du port de Rouen, un des plus importants ports français vers l’Afrique, nous pouvons leur offrir une réponse sur mesure. S'ils le souhaitent nous pouvons coordonner l’ensemble de leur chaîne logistique, l’enlèvement de marchandises, le stockage, la gestion des empotages des containers et toutes les problématiques liées y compris la recherche de nouveaux fournisseurs. C'est cela notre positionnement. Nous avons de vrais échanges avec les entrepreneurs africains qui nous conduisent parfois à développer leurs projets avec eux. 

De quel manière Terre Transit peut-elle développer les projets de ses clients au-delà de la prestation de fret ?

La demande exprimée concerne souvent du matériel, mais la qualité de la relation et la confiance qui s’installent finissent par faire émerger d’autres besoins qui relèvent plutôt de la formation et de la mise en réseau. Par exemple une de nos clientes au Bénin souhaitait acheter du papier, une matière très chère en France. Après examen du dossier nous sommes convenus d’organiser avec elle un séminaire sur les emballages car la problématique du conditionnement est récurrente au Bénin. J’ai mis ma partenaire en relation avec des français qui maîtrisent parfaitement le sujet. En Côte d’Ivoire c’est avec la fédération des producteurs de pommes de terre que nous avons construit une coopération: leur demande originelle était une recherche de fournisseurs pour pallier à la production locale insuffisante. Finalement, nous avons imaginé avec eux une semaine de formation avec un ingénieur agronome, des rencontres avec des producteurs normands et des experts de la distribution y compris des circuits courts, et la visite d'une station de création variétale de pommes de terre dans le pays de Caux. Ils pourront ainsi améliorer leur process, la quantité de leur production et dupliquer les formations pour les autres producteurs locaux. Ils construiront leur propre modèle agricole avec le postulat du respect de la terre. 

Quelles réponses apportez-vous aux ONG qui ne sont souvent pas prises en considération par les opérateurs habituels ?

Il existe des solutions simples et concrètes. Par exemple l’optimisation des espaces qui peut être mis à leur disposition. Lorsqu'une entreprise exporte une machine, il y a souvent de la place non exploitée dans le container. Y ajouter deux palettes de matériel scolaire pour aider une l’école ne coûte rien à l’entreprise et lui rapporte en termes d’image.

Un autre exemple est la récupération du matériel médical, agricole ou scolaire qui est jeté en France dès qu’il y a changement de réglementation. Nous le stockons gratuitement dans notre entrepôt et le mettons ensuite à disposition d’organisations qui mènent des projets concrets. Pour le matériel agricole en particulier les enjeux sont énormes, les herses ou les tracteurs devenus inutiles chez nous font des miracles une fois arrivés en Afrique. Là aussi la coopération avec des partenaires locaux est essentielle pour que le matériel soit utile et bien entretenu. Nous travaillons par exemple avec Africole qui source du matériel agricole d’occasion en France et développe des ateliers de réparation et de formation à M’Bour au Sénégal et prochainement dans d'autres zones rurales d’Afrique de l’ouest. Ce type de projets qui repensent la coopération, le rapport au monde et à l’économie nous paraissent les plus pertinents.

Qui sont vos partenaires locaux et quelle complémentarité avez-vous avec eux ?

Lorsque nous faisons une prestation de fret, nous nous arrêtons souvent au port de destination, ensuite les transitaires locaux prennent le relais. Ils connaissent mieux que nous la réglementation et le fonctionnement local. Ils maîtrisent les difficultés d’accès liées à l’état des routes dans les zones rurales par exemple.  Nous avons passé du temps à identifier les plus compétents d’entre eux pour en faire nos partenaires. Notre réseau est maintenant bien développé et nous allons souvent les rencontrer. C’est important de maintenir un lien fort avec eux, comme de visiter les installations même si nous ne travaillons pas directement avec les gestionnaires des ports et les autorités douanières puisque ces partenaires locaux s’en charge. En me rendant souvent sur place, j'observe d'ailleurs que les relations d'affaire sont en train d’évoluer vers plus de transparence et c'est une bonne chose pour tout le monde. Une nouvelle génération arrive dans les entreprises et les administrations, qui refuse les arrangements avec la réglementation. Elle le fait dans un esprit de panafricanité qui est un gage de réelle coopération : nous sommes fiers de nos racines européennes, nous sommes très heureux que les gens avec qui nous travaillons à l’étranger soient aussi fiers des leurs et qu’ils aient envie de participer au développement de leur pays. Les problèmes d’aujourd’hui nous concernent tous, la question des migrants en est un bon exemple, et c’est ensemble que nous trouverons les solutions. C'est tout à fait le credo de TerreTransit.

Votre approche différente a-t-elle un impact économique pour le client ? 

Les étapes de la prestation sont couvertes par des grilles tarifaires et il n'y a quasiment pas d'écart entre les offres de la profession. Le fait de traiter les dossiers de manière vertueuse et engagée n'a pas d'incidence sur les tarifs. Une chose est cependant essentielle à nos yeux : notre approche est transparente, lisible, et fait l'objet d'un travail de pédagogie de notre part pour que le client comprenne ses dépenses et en maîtrise les paramètres.

 

Comment communiquez-vous sur cet engagement, notamment vers les entreprises françaises qui ont des politiques d’achats responsables et pourraient vous solliciter ?

Mon but en effet c’est d’aller convaincre des entreprises de taille plus importante qui peuvent avoir un rôle énorme sur l’Afrique du fait des volumes de marchandises qu’ils envoient. Ce n’est pas facile : les grandes entreprises ont des services assez cloisonnés entre la RSE, les RH, la logistique, les achats... Mais quand nous rencontrons le bon interlocuteur, nous arrivons souvent rapidement à le convaincre de la qualité de notre service, de la pertinence du modèle et de faire appel à nous. 

Pour rendre visible notre engagement nous avons adopté un dispositif porté par Logistique Seine Normandie qui est très bien adapté au monde du transport et de la logistique, c’est le label « 6 PL - Performances Logistiques Durables ». C’est une démarche volontaire de notre part, qui nous permet d’identifier les points d’amélioration sur 6 axes. Nous avons été labellisés au mois de mars 2018, lors du salon du transport et de la logistique à Paris, le SITL. Ce label est une synthèse efficace et peu coûteuse de plusieurs normes, avant que nous allions vers l’ISO ou le statut d’opérateur économique agréé. Nous participons à la promotion de ce label, pour que d’autres s’engagent et qu'ensemble nous ayons un impact positif de plus en plus important.

https://www.linkedin.com/company/terre-transit/

https://www.linkedin.com/in/guillaume-dumoulin-3196125a/

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