Tanguy GNIKOBOU, co-fondateur avec Oluwafèmi KOCHONI des « Jardins de l’espoir », un réseau de fermes agro-écologiques au Bénin.
04 sept. 2018Je veux donner un message d’encouragement à tous les braves paysans qui pratiquent l’agroécologie. Le premier métier de l’homme c’était l’agriculture mais je pense que le futur du monde sera aussi l’agriculture.
Ils-elles ont créé des entreprises à impact positif, pilotent la responsabilité sociétale dans leur société, forment aux pratiques de production respectueuses du vivant, organisent la réflexion et la coopération...Ils sont les acteurs de l'économie positive en Afrique. Nous sommes heureux de leur donner la parole.
Nous sommes à Tori-Bossito, à 40 km de Cotonou, sur un des sites des Jardins de l’Espoir. Pouvez-vous nous décrire ce lieu ?
Le terrain ici fait trois hectares. Nous y avons créé une ferme pour diffuser les pratiques de l’agroécologie. Ce nouveau site que nous exploitons depuis seulement un an, est mis à notre disposition en échange de la fourniture de fruits et légumes bio à une cantine scolaire à Cotonou. La production actuelle de maraîchage occupe la moitié du terrain et nous avons beaucoup d’autres activités en projet : un poulailler, de la pisciculture, des ruches… Nous expérimentons en permanence : en ce moment nous travaillons sur un compost très prometteur à base de déchets agricoles de riz, le bokashi, que nous a fait connaître un chercheur-paysan colombien. Mais la ferme est surtout un lieu de formation pour les agriculteurs et pour tous ceux qui veulent se reconnecter à la terre.
Comment avez-vous commencé l’aventure des Jardins de l’Espoir ?
Nous avions démarré avec mon associé Oluwafèmi KOCHONI, ici dans cette même commune de Tori-Bossito en décembre 2014, une première ferme dénommée « Le Jardin de l’Espoir ». Plusieurs mois après nous avons rencontré d’autres jeunes producteurs au Bénin qui partageaient notre vision sur l'agroécologie. Avec eux nous avons créé en juillet 2015 l’association « Les jardins de l’Espoir », une coopérative de production et d’entraide. Aujourd’hui nous sommes sept associés et un peu plus de vingt personnes sur nos cinq sites. Chacun est autonome mais nous avons une relation collégiale pour nous épauler et faire des ventes groupées.
Quelle équipe travaille ici et comment le site est-il géré ?
Ici nous sommes six, mon associé et moi, deux collaborateurs et deux jeunes en apprentissage. Nous avons un mode de gestion très collaboratif sans rapport patron-ouvrier. Les projets agricoles échouent souvent parce que les équipiers n’épousent pas le projet de l’entrepreneur mais ici, ceux qui travaillent avec nous sont des futurs patrons, pas des manœuvres ni des collaborateurs à vie. Les décisions opérationnelles sont prises de manière tournante : à moi aussi on peut dire « Tanguy cette semaine tu fais ça et ça ». C’est un bon moyen de transférer la responsabilité et, ce qui est très rare, de faire fonctionner le site aussi bien quand nous sommes là que quand nous sommes absents Oluwafèmi et moi. Les personnes à qui cette autonomie ne convient pas s’en vont d’elles-mêmes, nous ne gardons que les gens motivés. Tous les sites de production des Jardins de l’Espoir sont aussi des lieux de vie, on fait tout ensemble, on mange dans la même assiette, et ça réduit vraiment les problèmes.
Quelle est la vision que vous portez au travers des Jardins de l’Espoir et qu’est-ce qui vous y a amené ?
Notre premier objectif c’est de promouvoir l’écologie et le changement de mode cultural en Afrique. Nous devons gagner l’autonomie alimentaire tout en respectant la terre, c’est cela qui nous fera sortir du cercle vicieux ou nous sommes tombés. Lorsque nous étions étudiants, nous étions déjà des activistes panafricanistes et altermondialistes, membres d’Amnesty International et d’Attac Bénin. Deux déclics en 2013 nous ont amenés là où nous sommes aujourd’hui : le premier c’est un appel à l’action au-delà de la parole, lors d’un rassemblement à Ouidah du Conseil Mondial du Panafricanisme (CoMoPa). Nous savions que le Burkina Faso avançait vers l’autonomie alimentaire et prouvait que l’Afrique n’a besoin de personne si elle produit ce qu’elle consomme : nous avons réfléchi et décidé de nous engager dans l’agriculture comme premier mode d’action. Le deuxième déclic est venu lors d’un séminaire pour les jeunes leaders de la sous-région sur les questions de changements climatiques et de développement durable organisé par la Fondation Konrad Adenauer. C’est là que nous avons vraiment compris l’ampleur du problème climatique. Cette deuxième prise de conscience nous a orientés vers l’agroécologie.
Comment vous êtes-vous formés ?
A notre connaissance, aucune ferme au Bénin ne faisait ça à ce moment-là en 2014. Je suis allé me former au CEVASTE, chez la famille Jah à Ahozon, en travaillant bénévolement pendant dix mois. Et puis nous avons commencé tous les deux avec un petit prêt personnel, nous nous sommes installés à côté d’un *bas-fond dans la brousse avec juste une motopompe, et le 1er décembre 2014 nous avons commencé à sarcler. Nous avons appris tout le reste sur le tas, à travers des visites d’échanges et surtout grâce à internet d’où viennent 70% de nos connaissances actuelles. Nous étudions beaucoup ce qui se fait à Cuba sur l’agriculture biologique, mais aussi en Inde qui a un climat analogue au nôtre, et nous tirons profit du partage de connaissances organisé en France. Mais on bouge partout, on apprend continuellement : Oluwafèmi est dans la sphère anglophone, moi je suis dans la sphère francophone, et à nous deux nous avons une bonne ouverture sur le monde.
*un terrain en cuvette souvent inondé et réputé non cultivable.
Comment diffusez-vous ces pratiques ?
Nous avons d’abord voulu initier les paysans à des fabrications d’engrais naturels et très économiques : un succès mitigé parce qu’ils attendaient surtout de nous qu’on les finance. Cette mauvaise expérience nous a conduits à revenir sur nos fermes pour des formations courtes et gratuites à destination de toutes les personnes intéressées, y compris celles qui n’ont pas le temps en semaine : les « Samedi Ecolo » qui se déroulent tous les samedis. Même les urbains, les salariés, doivent pouvoir cultiver un petit potager à leur domicile. Mais je suis aussi très attaché à nos AgroBootCamp : une semaine de formation à l’entrepreunariat vert sur notre site de Tori-Bossito pour des jeunes de 18 à 35 ans auxquels nous apprenons le BA-BA s’ils démarrent ou plus s’ils ont déjà des compétences. La première édition a attiré 38 personnes. Nous le faisons avec des moyens ultra-serrés pour que tous les jeunes, même des pays mitoyens puissent venir. Malgré le prix très bas de l’édition passée (15 000 francs soit 23 euros), certains n’ont pas pu participer faute de moyens. Donc pour la prochaine édition en octobre de cette année, nous sommes en discussion avec certains partenaires et nous cherchons d’autres soutiens financiers, ne serait-ce que pour l’achat des tentes pour héberger les stagiaires, ou pour les kits de participation.
Quelle part faites-vous au volet économique de vos activités ?
Notre point de départ c’était l’activisme, pas le business. Mais nous réfléchissons tout à fait autrement maintenant : nous voulons prouver que le modèle économique fonctionne très bien pour que d’autres jeunes y croient et que les mentalités changent. Quand je me suis lancé dans l’agriculture, après ma maitrise en économie à l’Université d’Abomey Calavi, ma famille m’a pris pour un fou. Mon petit frère m’a dit qu’il avait pleuré pendant deux jours parce qu’il m’avait vu en photo en train de planter : son grand frère, son mentor, parmi les brillants élèves sur les bancs, était devenu agriculteur ! Ça m’a beaucoup touché. J’ai compris que notre réussite doit aussi être matérielle pour convaincre : le monde est fait comme ça. Donc nous sommes dans cette transition vers un modèle économique très viable. Car le vert est aussi économique.
Vos actions sont bien visibles sur les réseaux sociaux. La communication est un atout particulier ?
Avant je ne communiquais pas et personne ne parlait de ce qu’on faisait, alors que d’autres, qui ne faisaient rien, communiquaient beaucoup et recevaient des prix ou d'autres disctinctions. Selon joseph Ki-Zerbo : « LE MAUVAIS A RAISON PARCE QUE LE BON SE TAIT », la formule a fait tilt : je suis devenu un amoureux des réseaux sociaux. J’ai écrit un premier article « le paysan africain, le grand oublié » qui a été beaucoup lu et partagé et je me suis auto-formé au community management. Plus de six mille personnes nous suivent aujourd’hui rien que sur Facebook. Et puis nous avons été approchés par « le Débat Vert » une vitrine associative d’échanges avec des chercheurs, des étudiants, des producteurs et des consommateurs, afin de repenser l’agriculture dans une dynamique d'adaptation aux changements climatiques. Ce que nous faisions sur la ferme était en train d’en sortir pour entrer dans le débat public !
Existe-t-il un écosystème d’acteurs pour l’agroécologie au Bénin et comment y participez-vous ?
Nous sommes très actifs dans les organisations de la société civile de la sous-région, à la FAEB (la Fédération Agro écologique du Bénin), à la Plateforme Nationale de la Convergence Globale des Luttes pour la Terre, auprès de TerrAfrik une plateforme avec laquelle nous allons organiser pour la première fois le festival des solidarités au Bénin. En France je suis déjà intervenu à Montpellier pour les Assises Sciences-Sociétés organisées par la Maison des Sciences Humaines l’an passé. Lors de ces rencontres en France nous avons compris que ces questionnements sur le système capitaliste tel qu’il fonctionne aujourd’hui sont partagés dans le monde entier, que la richesse seule n’amène nulle part, et que la recherche du changement de modèle doit être transversale, portée dans tous les domaines où l’homme intervient : sport, architecture, agriculture, mobilité … Nous voulons participer à ces réflexions que nous partageons pleinement.
Quelle est la prochaine étape, pour vous et les Jardins de l’Espoir ?
Le projet sur lequel je travaille maintenant c’est un supermarché biologique collaboratif à Cotonou qui sera géré sous forme coopérative avec les paysans eux-mêmes. J’ai été retenu parmi les 10 finalistes du Food Connection Challenge, un think tank sur la réduction des pertes post-récoltes dans l’agriculture, qui m’incube pour le développer. J’ai un challenge particulier sur le côté collaboratif : travailler ensemble est réputé impossible au Bénin et je veux prouver le contraire.
Mais nous avons beaucoup d’autres projets et beaucoup d’autres besoins : par exemple sécuriser un terrain d’un seul tenant qui soit vraiment à nous nous sauverait. On a aussi envie d’avoir aussi un lieu à Cotonou où les gens peuvent nous trouver facilement et où on pourrait faire des formations.
Notre rêve serait surtout de pouvoir installer les jeunes qui viennent nous voir avec de beaux projets d’entreprenariat vert : fabrication d’huiles végétales, installation de ruches, production de fertilisants naturel, production de semences… Nous voulons être un incubateur où ils se forment et qui contribue à leur installation.
Je suis entre deux générations, je comprends celle qui est derrière moi, et je vois arriver avec plaisir la prochaine qui compte beaucoup de néo-paysans. Je veux leur donner un message d’encouragement parce que pour moi, le premier métier de l’homme c’était l’agriculture mais je pense que le futur du monde ce sera encore l’agriculture, qui est à la source de tout le reste.
Je ne peux finir cet entretien sans faire un coup d’œil à mes braves associés Oluwafèmi, Ousmane, Raoudath, Augustin, Joseph et Mohamed qui multiplient les actions pour porter haut la dynamique.
Le paysan africain, le grand oublié.... - Le Blog de Tanguy GNIKOBOU
Il y a de cela quelques siècles en Afrique, la bravoure était liée à la fonction paysanne. Les gens pouvaient mêmes se comparer en fonction de la taille et du contenu de leur grenier et de l'...
http://tanguygnikobou.over-blog.com/2016/03/le-paysan-africain-le-grand-oublie.html