Afrique et climat : Vanessa Laubin et Bérengère Batiot de l'association CLIMATE CHANCE.
12 sept. 2018“Nous continuerons à faire entendre les demandes des acteurs non étatiques mobilisés sur le climat. Plus leur action sera visible auprès des états et des organisations internationales, plus notre mission progressera.”
Ils-elles ont créé des entreprises à impact positif, pilotent la responsabilité sociétale dans leur société, forment aux pratiques de production respectueuses du vivant, organisent la réflexion et la coopération...ce sont les acteurs de l'économie positive en Afrique. Nous sommes heureux de leur donner la parole
Climate Chance a organisé en juin dernier à Abidjan un premier sommet intégralement consacré à l’Afrique avec un objectif ambitieux: renforcer la capacité des organisations africaines à agir contre le changement climatique et démultiplier les projets. Pour comprendre comment se met en place un tel événement et quels en sont les résultats, passons de l’autre côté du rideau pour en rencontrer les organisatrices: entretien avec Vanessa Laubin, Déléguée générale de Climate Chance et Bérengère Batiot, responsable Communication et Relations Publiques.
L’association Climate Chance a été créée récemment, en 2016. Quelle place particulière prend-elle dans la lutte contre le changement climatique ?
Vanessa Laubin: Notre mission est de coordonner et faire monter en puissance les organisations dites « non étatiques » du monde entier qui travaillent sur le climat. Ces acteurs de terrain ont un rôle à jouer très important. C’est leur mobilisation qui donne confiance aux négociateurs lors des conférences de la Convention Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques (CCNUCC) et soutient ainsi l’ambition des Etats. Quant à leurs actions de terrain, elles sont indispensables pour répondre aux engagements pris.
Climate Chance a été créée par Ronan Dantec, sénateur écologiste, et Bernard Soulage, ancien vice-président de la région Rhône Alpes après l’événement « Climat et Territoires » tenu à Lyon en 2015. Le point de départ ce sont les collectivités locales et les régions, mais l’action de Climate Chance s’étend au secteur privé et à la diversité des acteurs mobilisés contre le changement climatique : ONG, coopératives, agriculteurs, chercheurs, syndicats, jeunes, femmes, peuples autochtones, etc...
De quelle manière opérez-vous ces convergences ?
Bérangère Batiot : Nous voulons réunir en un même endroit, physique ou virtuel, la diversité des acteurs et des actions. Le premier sommet Climate Chance a eu lieu à Nantes en 2016, le second à Agadir en 2017. Le troisième, tenu à Abidjan fin juin 2018, inaugure un cycle consacré intégralement à l’Afrique. Nous organisons d’autres événements plus ponctuels, et nous créons aussi des espaces virtuels où les coalitions thématiques travaillent tout au long de l’année. Car une des spécificités de notre action est de renforcer les coopérations sur chaque thème lié au climat: accès aux financements, éducation et formation, aménagement durable des villes africaines, gestion de l’eau, agriculture et déforestation, accès à l’énergie, mobilité durable, etc...
Pour donner à voir le travail souvent remarquable de ces acteurs nous développons cette année deux nouvelles activités. D'abord un observatoire de l’action climat qui rendra son 1er rapport fin novembre. C'est un exercice inédit qui vise à montrer l’impact des activités de tous ces acteurs non-étatiques, à révéler leur potentiel pour faire baisser des émissions de GES et à illustrer les synergies qui fonctionnent entre toutes ces typologies d'acteurs étatiques ou non étatiques. L’autre activité en développement est un portail de l’action climatique, un site internet bilingue français-anglais qui comprend une cartographie des bonnes pratiques et bientôt une bibliothèque du climat pour aider toutes les personnes mobilisées à trouver facilement l’information sur le climat : rapports, formations, données, actualités, etc..
Quel rôle jouent actuellement les acteurs non étatiques dans les négociations sur le climat, et quel savoir-faire ajoute Climate Chance ?
VL: Les réunions de la CCNUCC sont avant tout des échanges entre états qui négocient les suites de l’Accord de Paris et sa mise en œuvre. Pendant ces réunions internationales des représentants des neufs groupes majeurs des « acteurs non étatiques » sont présents en tant qu’observateurs. Ils peuvent amener des éléments dans le débat mais n’ont pas de droits de vote et pas de poids dans les décisions. Néanmoins leur rôle est désormais reconnu par les états et les bailleurs. Lors de la COP 21 il y avait une forte volonté de mettre en avant ces acteurs de la société civile. Plusieurs initiatives dont le Lima - Paris Actions Agenda, ou le Marrakech Partnership Climate Agenda avaient été organisés avant la COP 21 dans cet esprit.
BB: Au-delà de la reconnaissance, il reste à structurer ce rôle et c’est là que réside notre savoir-faire. Nous identifions des acteurs fiables, nous proposons des cadres, des méthodes, et mettons en place la gouvernance des actions collectives. Par exemple, les états des pays en développement font souvent le constat de la faiblesse des financements climat. De leur côté les bailleurs de fonds nous disent qu’ils ont du mal à identifier les bons projets. Par notre travail nous structurons des projets très en amont en rassemblant les acteurs d’un territoire qui font émerger des actions à mener en commun. Cette identification pré-opérationnelle des projets et la circulation des informations que nous favorisons rendent service à toutes les parties.
Dans l’autre sens nous essayons de rendre les contributions déterminées au niveau national, les CDN (engagements volontaires des états à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre dans le cadre de l’Accord de Paris) intelligibles pour les acteurs non étatiques. Un entrepreneur ivoirien qui lit la contribution de son pays a beaucoup de mal à comprendre quelle part il peut y prendre...Nous contribuons au travers d’exemples sur la mobilité, le financement, ou l’énergie à expliciter ce rôle.
Nous sommes les seuls, parmi les organisations de lutte contre le changement climatique, qui faisons cela sur l’ensemble des thématiques qui y sont corrélées et avec l’ensemble des acteurs concernés.
Quelle est la taille de l’équipe et son mode d’organisation ?
VL: Nous sommes dix salarié.e.s dans l’association, dont Jean Jouzel est le président d’honneur. Nous sommes épaulés par un conseil d’administration très actif composé de spécialistes du climat, du financement, du rôle des entreprises ou des négociations internationales. Ce conseil d’administration contribue à la stratégie de l’association et nous donne accès à des réseaux beaucoup plus étendus. Nous avons également le soutien d’un comité d’orientation stratégique qui réunit environ 250 personnes représentatives des principales organisations des acteurs non étatiques présentes auprès de la CCNUCC,
Pourquoi avoir créé un sommet consacré à l’Afrique ?
VL: Plusieurs constats nous y ont amenés: d’une part l’Afrique est sous-représentée dans les négociations sur le climat depuis le début de leur existence. La voix des acteurs africains y est donc très peu audible et plus encore lorsqu’il s’agit d’acteurs non étatiques. Ensuite il y a un vrai besoin de sortir de la logique de travail en silos en Afrique. Mais surtout, le socle de notre projet c’est donner plus à voir les dynamiques africaines positives pour le climat et de les aider à trouver leur financement. Etant donné l’enjeu très fort de développement pour le continent, sa croissance économique et démographique, il concentre désormais les risques et les opportunités pour les décennies à venir de rester en deçà des deux degrés de réchauffement. Si le choix est fait d’adopter les modèles qui ont failli en Occident, on va dans le mur !
Sur quoi repose le choix de la Côte d’Ivoire pour l'héberger ?
BB: La Côte d’Ivoire est dans le top 10 des pays à plus forte croissance dans le monde en 2017, et plusieurs de ses secteurs économiques comme les filières agricoles ou agro-industrielles sont mis en péril par les changements climatiques. Le pays est souvent représenté dans les événements internationaux et plusieurs gouvernements locaux sont déjà engagés dans des initiatives internationales sur le climat: la ville d’Abidjan fait partie du C40, la région de San Pedro est entrée dans le processus under2MoU. L’organisation qui nous a ouvert la porte est L’Association des Régions et des Districts de Côte d’Ivoire. Son ancien dirigeant, Jeannot AHOUSSOU, désormais président du Sénat de la Côte d’Ivoire, avait organisé un événement sur le changement climatique en 2015 à Yamoussoukro pour faire entendre la voix des acteurs africains avant la COP21.
Quels sont les grands challenges pour l’organisateur d’une telle manifestation ?
BB : Le point de départ pour ce sommet accessible uniquement sur invitation était l’identification des participants. Nous souhaitions des contributeurs africains désirant vraiment utiliser et partager leur connaissance des sujets traités pendant le sommet. A partir d’une première liste, amendée et complétée par nos réseaux, nous avons rassemblé six cent personnes très compétentes venant de tout le continent. Nous prenons en charge les invitations, la logistique de l’événement mais aussi le fond des échanges, l’animation des plénières d’ouverture et de fermeture et l’organisation des ateliers qui sont le cœur du sommet. C’est un travail considérable pour l’équipe à Paris, qui a également nécessité des collaborations locales, une personne à Abidjan à temps complet, l’appui important de L’Association des Régions et des Districts de Côte d’Ivoire et celui de tout notre réseau, une soixantaine d’organisations qui co-pilotent les ateliers, font des propositions de thèmes d’intervention et de structuration des échanges. Le tout représente six mois de préparation. Certains acteurs sont venus en amont du sommet pour travailler avec leurs réseaux, rencontrer de nouveaux acteurs et les embarquer dans leurs initiatives.
Quels sont les résultats concrets du sommet d’Abidjan ?
BB: Les temps de travail en atelier ont été particulièrement productifs. Dans les réunions internationales il est classique que l’intérêt s'émousse au fil de temps car elles ne favorisent pas les prises de parole et encore moins les interactions. Ici, chacun a travaillé et s’est mis en contact avec les autres avec des résultats concrets. Par exemple la Convention des Maires en Afrique Sub-Saharienne, une initiative soutenue par la Commission Européenne qui vise à mobiliser des communes africaines sur le sujet du climat et de la ville durable, a travaillé pendant une semaine complète avec un résultat très satisfaisant. Les participants ont pu rencontrer les partenaires sur place, avancer dans la structuration du travail en commun et trouver de nouvelles villes adhérentes. Le sommet a également permis le lancement d’un réseau des agences d’urbanisme africaines. C’est la présence simultanée à Climate Chance de nombreux acteurs concernés qui a permis ce lancement. Ce sommet est la première étape d’un travail de long terme, notre conseil d’administration a de fortes attentes sur l’Afrique et nous pousse à continuer dans cette voie.
Comment parvenez-vous à faire le suivi d’actions aussi nombreuses et géographiquement réparties ?
VL : Le premier niveau de suivi tient au fait que nous animons directement les dix coalitions lancées à l’occasion du sommet. Nous suivrons donc nous-mêmes, avec les co-pilotes, ce qu’elles vont mettre en œuvre. Lorsqu’il s’agit d’actions lancées par les autres partenaires, il nous faut mettre en place des indicateurs sur la durée pour comprendre notre impact. Le troisième niveau de suivi se fait avec nos nouveaux outils, le portail de l’action climatique et l’observatoire de l’action climatique.
Quelle a été le rôle des entreprises lors du forum ?
BB : Avec 45 participants sur 600, soit un peu moins de 10%, les entreprises ne sont pas les plus représentées. Elles sont plus difficiles à mobiliser sur ces dynamiques d’acteurs bénévoles, et il est moins évident pour elles de se trouver des objectifs en commun que pour les collectivités territoriales. Néanmoins ENGIE, Schneider Electric, BNP PARIBAS, Michelin, SUEZ étaient là ainsi que plusieurs PME africaines comme par exemple l’entreprise d’aquaponie Save our agriculture montée par Flavien Kouatcha. Les entreprises internationales implantées sur le continent africain ont un rôle majeur à jouer dans la lutte contre le réchauffement climatique en raison de leur technicité et de leurs méthodes. Elles sont peu mobilisées et nous voulons leur montrer l’intérêt, y compris en termes de business, de travailler avec les autres acteurs des territoires comme Michelin le fait déjà en partageant avec des collectivités sur tout le continent. Il faut aussi que nous progressions sur les entreprises d’origine africaine, mais également sur la représentation des états africains, des banques de développement et tous les acteurs du financement.
Qu’attendez-vous des banques de développement à vos côtés ?
VL: Plusieurs banques de développement étaient présentes à Abidjan dont l’AFD, l'Agence française de développement et la BAD, la Banque africaine de développement. Mais nous avons besoin d’un partenariat plus stratégique, qui nous donne un rôle à la mesure de l’importance des acteurs non étatiques. Par exemple nous aimerions contribuer au projet de plateforme collaborative Africa NDC Hub, qui vise à améliorer les contributions des Etats africains sur le climat. Les Etats seuls ne feront rien, il faut mobiliser l’ensemble de la société civile autour d’eux. Nous allons donc continuer les échanges avec la BAD et essayer de travailler plus ensemble.
Quelle est la suite du sommet d’Abidjan ?
BB: Pour le sommet 2019, la mairie d’Accra s’est portée candidate par une annonce en plénière de clôture et nous avons accepté cette proposition. Cela renforce notre logique partenariale, car le siège de la Convention des Maires en Afrique Sub-Saharienne est localisé à Accra, où CGLU Afrique a également un bureau. Cela nous permet également de nous ouvrir sur le monde anglophone, plus difficile à mobiliser pour nous. Nos sommets continueront d’être traduits simultanément en anglais et en français. C’est important pour nous dans la mesure où la plupart des sessions dans les négociations climat se font en anglais et ne sont plus traduites, ce qui exclue de fait beaucoup de négociateurs climat francophones ou lusophones.
Mais avant le sommet au Ghana, la position commune des acteurs non-étatiques africains adoptée lors du sommet d’Abidjan sera portée tout au long de l’année dans les événements internationaux : Global Action Summit à San Francisco en septembre 2018, Climate-Week à New York, évènement Africités à Marrakech en novembre pendant lequel nous organisons la session plénière sur la transition écologique, et puis COP 24 en décembre en Pologne.
Nous continuerons à faire entendre les demandes des acteurs non étatiques mobilisés sur le climat. Plus leur action sera visible auprès des Etats et des organisations internationales, plus notre mission progressera.