Les Objectifs de Développement Durable sont la face lumineuse de la mondialisation

Rencontre avec Bettina LAVILLE, Présidente du Comité 21

Cette interview a été réalisée à l’occasion de l'intervention de *Bettina Laville au premier séminaire des managers durables d’avenir en Afrique. Un évènement organisé à Casablanca du 8 au 12 mai 2018 par l'Académie Durable Internationale (Patrick D'Humières) avec Des Enjeux  et des  Hommes (Agnès Rambaud), RSO au Maroc (Aziz DERJ), RSE Sénégal (Philippe BARRY et Amath BA), RSO Côte d'Ivoire (Franck EBA), le soutien de VEOLIA et de l'Ecole Centrale.

Vous avez partagé avec les participants du séminaire une vision très galvanisante des Objectifs du Développement Durable, qui met en évidence un rôle contributif de l’entreprise dans le monde. En quoi les ODD amènent-t-ils cette nouvelle dynamique ?

Je crois beaucoup aux ODD, c’est d’ailleurs pourquoi le Comité 21 en a fait son fil rouge après avoir traité pendant une vingtaine d’années de l’Agenda 21. Au-delà des logiques normatives de reporting utiles et indispensables qui s’appliquent aux entreprises, les ODD remettent toute notre action dans une vision prospective. Une prospective sur 15 ans puisque qu’ils sont définis sur la période 2015-2030. C’est un des très rares instruments qui font que le court et le long terme peuvent se conjuguer. On a l’impression que la financiarisation du monde gâche tout, et notamment nos chances de faire survivre l’humanité. Mais c’est moins vrai maintenant que la finance s’oriente vers la finance durable, et surtout ce ne sera plus vrai si nous décidons de suivre une ligne publique commune. Les ODD sont la déclinaison des biens communs, qui contrairement à ce que l’on croit, s’appliquent aussi bien dans le secteur privé que dans le secteur public. C’est un fil rouge de l’humanité dont tous les acteurs, même les entreprises les plus compétitives, ont besoin pour jouer leur rôle humain, rappelé dans la plupart des 17 ODD. Les Objectifs de Développement Durable sont la face lumineuse de la mondialisation.

Quelle distinction faites-vous entre biens communs et biens publics ?

« Public goods » signifie « biens communs » mais le français nous joue un tour : nous entendons « biens publics ». La théorie des biens communs vient en effet du monde anglo-saxon avant d’être déclinée par la grande philosophe Elinor Ostrom. Et cette théorie accepte totalement que le secteur privé participe au bien commun de l’humanité. En Europe et ailleurs de plus en plus, via le reporting extra-financier, les entreprises ont une obligation de lutter contre le changement climatique et d’assurer le bien-être social. Elles le déclinent de manière encore très diverse. Mais la mondialisation amène ces multinationales, au travers de référentiels comme la GRI, à appliquer ces normes dans le monde entier. Cela, c’est du bien commun à travers le secteur privé.

La RSE et les ODD peuvent-ils particulièrement aider les entreprises africaines ?

J’en suis certaine, pour trois raisons. D’abord parce que la RSE débute en Afrique et qu’elle peut bénéficier de 20 ans d’expérience dans d’autres pays. Elle arrive à point pour accompagner l’essor du secteur privé en Afrique qui est nouveau depuis 15 ans et important. Elle peut contribuer à changer les mentalités et intégrer dans ce secteur privé la responsabilité envers les populations. La deuxième raison est que de nombreux pays d’Afrique doivent porter les ODD plus que d’autres. La lutte contre la pauvreté, l’approvisionnement en eau, la perte de biodiversité, la déforestation, les nombreux problèmes de droits humains… je pourrais malheureusement en citer beaucoup. Ces combats seront menés à la fois par la population, les Etats mais aussi les entreprises. Cette nouvelle culture d’entreprise est d’autant plus intégrée que les entreprises sont jeunes et ne portent pas comme nous le lourd passé issu des 19ème et 20ème siècle. Enfin, troisième raison, j’ai été frappée de la qualité des participants de ce séminaire, de l’expérience de terrain et du très haut niveau de réflexion. Or pour ces managers qui sont habitués à faire progresser leur pays, la responsabilité envers la planète est presque plus naturelle que chez nous. En tous cas, ces personnes, jeunes, ont déjà une conscience de la responsabilité très importante.

Comment voyez-vous vivre le réseau Europe Afrique qui est en train de se constituer ?

Le mot d’Académie est très bien choisi. Une académie c’est un lieu d’apprentissage, de rencontres, et de fabrication du savoir. Pour participer à la généralisation de la responsabilité sociale et climatique, je pense que ces managers sont la tête de pont. Si j’avais un souhait c’est d’une part de rendre cette rencontre annuelle, et d’autre part que l’on décline les problèmes par groupe d’ODD. Cela amènerait à croiser les référentiels de la RSE et les ODD. Les managers africains, qui profitent bien plus des injonctions de l’ONU que nous qui avons des textes nationaux pour encadrer ces exigences, se sentiraient portés par un double mouvement : d’une part la privatisation qui est inéluctable et facteur d’intégration des populations, et d’autre part une perspective éthique et culturelle vers le bien commun et il faut bien le dire, la survie de l’humanité.

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*Bettina Laville est conseiller d’Etat. Ancienne élève de l’ENA et docteur en lettres, elle a été directrice de cabinet du ministre chargé de la Francophonie, puis directrice de cabinet du Ministre de l’Environnement, Brice Lalonde, et a occupé auprès de Pierre Bérégovoy, jusqu’en 1993, le poste de Conseiller pour l’Environnement, créé pour la première fois à Matignon. De 2008 à septembre 2013, elle a créé le pôle "Droit de l’environnent et développement durable" comme associée du cabinet d’avocats Landwell – membre du réseau international PricewaterhouseCoopers (PwC). Elle est co-fondatrice du Comité 21 dont elle est aujourd’hui présidente d’honneur et est rédactrice en chef de la revue Vraiment Durable qu’elle a fondée.

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