HIND AIT MHAMED, ENSEIGNANTE ET CHERCHEUSE EN RSE AU MAROC
04 avr. 2020Nous avons besoin d'une dynamique collective entre acteurs africains pour faire émerger une RSE propre à nos pays
Séance de travail du webinaire "Entreprises, Diversité et Handicap". (Hind Aït Mhamed au centre sur cette photo)
Ils-elles ont créé des entreprises à impact positif, pilotent la responsabilité sociétale dans leur société, forment aux pratiques respectueuses du vivant, organisent la réflexion et la coopération. Ce sont les acteurs de l'économie positive en Afrique.
Nous sommes heureux de leur donner la parole.
Hind Aït Mhamed, vous êtes aujourd'hui professeure vacataire à l'Ecole Nationale de Commerce et de Gestion de Tanger, au Maroc. Vous enseignez la comptabilité et le management mais également la RSE à laquelle vous avez consacré votre thèse de doctorat. Qu'est-ce qui vous a attirée vers la RSE pendant vos études ?
H.A.M : Sa pluridisciplinarité, qui est la marque de mon parcours académique ! Après un diplôme d'assistante sociale j'ai étudié l'audit et la gestion puis obtenu un master en économie et ressources humaines. Quand j'ai pensé au Doctorat j'ai cherché une thématique aussi pluridisciplinaire que moi. Après des échanges avec mes professeurs, dont Omar Belkheiri qui a dirigé ma thèse, la RSE s'est imposée. Nous étions en 2012, le thème était neuf au Maroc avec un grand potentiel dans le champ de la recherche. Deux autres chercheurs travaillaient déjà sur la RSE à l'ENCG, Moulay Hafid Benslimane dans le secteur touristique et Asmae Fellaji dans l'investissement responsable et la finance islamique. Pour ma part, je m'intéressais aux pratiques managériales responsables dans les PME marocaines. Ensemble nous avons constitué un groupe de travail et mis en commun nos ressources. Cette collaboration se prolonge aujourd'hui par la rédaction d'un ouvrage collectif sur la RSE qui fera l'état des lieux de son développement au Maroc et devrait sortir en septembre 2020. En matière de recherche je travaille actuellement sur un article très spécifique sur la dimension religieuse de la RSE que j'ai soumis à un journal en Malaisie. J'ai un projet de collaboration avec une chercheuse de l'Ecole Nationale des Sciences Appliquées de Tanger où les futurs ingénieurs sont formés à la RSE et à l'ISO 26000 avec un développement de Serious game dans la RSE, et j'ai envie de croiser aussi les questions juridiques soulevées par la RSE. Transdisciplinarité toujours !
Quelle est la place de la RSE dans l'enseignement et la recherche au Maroc ? Quelle collaboration avec les entreprises ?
H.A.M : La RSE au Maroc date précisément d'un discours prononcé en 2005 lors des Assises de l'Investissement par le Roi Mohamed VI, qui a appelé les entreprises à assurer leurs responsabilités sociales. Juste après, en 2006, a eu lieu le lancement du Label de la CGEM. La recherche académique sur la RSE a démarré à cette période. Mais son appréciation dans le monde des grandes écoles reste parcellaire. A l'ENCG où j'enseigne, la RSE a été programmée uniquement pour les étudiants de 5ème année de l'option Ressources Humaines. Cela donne un aperçu de la vision réductrice de la RSE qui prévaut aujourd'hui. Son champ d'action est évidemment bien plus large que les Ressources Humaines, il comprend la finance, le marketing, le commerce international…J'aimerais que cela fasse partie un jour du tronc commun des étudiants de 3ème année. La RSE est aussi enseignée dans la formation continue pour les cadres, mais cela reste une option rare.
Quant aux entreprises, peu ouvertes sur la recherche académique, l'accès en est difficile. Je suis surtout en contact avec des organismes liés au patronat, la CGEM, la Confédération Générale des Entrepreneurs marocains, et l'AFEM, qui rassemble des femmes chefs d'entreprise
Les petites entreprises, qui constituent l'essentiel du tissu économique marocain, sont dans la survie au quotidien avec des problématiques d'accès aux financements, d'organisation, de structuration, de recherche de compétences. Elles ne peuvent pas adopter la RSE telle qu'elle se présente aujourd'hui : un concept importé par les sociétés mères des grandes entreprises et les donneurs d'ordre étrangers. Mais cela ne veut pas dire que ces PME nationales n'exercent pas une forme de responsabilité sociale. J'en ai fait l'objet de ma thèse avec une question très simple : y a-t-il une RSE "à la marocaine", qui émane vraiment du contexte sociologique et économique national ?
Comment avez-vous travaillé pour répondre à cette question et quelles sont les conclusions essentielles de votre étude ?
H.A.M : J'ai identifié des entreprises 100% marocaines, c’est-à-dire qui œuvrent sur le marché intérieur, gérées par des dirigeants marocains qui apportent eux même le capital, et sans lien avec l'international. Un deuxième critère essentiel était le respect de la loi du travail, la RSE ne pouvant venir qu'ensuite, et le 3ème, l'accord des dirigeants pour un échange direct. Pas si facile à trouver ! 6 entreprises m'ont ouvert leurs portes. Ce travail a mis en évidence qu'il existait bien des pratiques de responsabilité sociale spontanées de la part du dirigeant, souvent dictées par sa foi : des primes pour les salariés au moment des fêtes religieuses, la création d'un lieu dédié dans l'entreprise, avec des moments de prière collectif motivants pour les collaborateurs. Les dirigeants qui mettent cela en œuvre n'ont ni connaissance ni vision d'une démarche RSE en tant que telle, mais ils font tout de même des choses qui vont au-delà de la loi et qui constituent un apport pour leurs communautés. Ces exemples m'amènent à penser que l'aspect religieux peut constituer une entrée spécifique vers la RSE au Maroc et qu'il faut la valoriser.
Sur le plan social, j'ai identifié des initiatives intéressantes en direction des personnes démunies, comme un atelier de formation dans le secteur métallurgique ouvert aux gens sans diplôme, mais toutes les thématiques ne sont pas adressées, il n'y a rien sur l'intégration des personnes en situation de handicap par exemple.
Vous contribuez à l'initiative RSE & Pays en Développement depuis plusieurs années, de quelle façon, et pour quelle vision de la RSE en Afrique ?
H.A.M : Je participe à RSE&PED depuis 2014. J'ai réalisé cette année-là un webinaire sur la vision de la RSE par les managers marocains, que j'ai couplé avec un cours sur la RSE pour nos étudiants de 5ème année. La séance a été un grand succès ! J'ai ensuite travaillé quelques temps pour l'association. Début 2020 j'ai contribué au cycle Entreprises, Diversité et Handicap avec Handicap International qui développe son programme au Sénégal, au Maroc, en Tunisie et au Bénin. Des entreprises de ces quatre pays ont partagé leurs politiques et leurs pratiques dans ce domaine. Une très belle expérience pour moi comme pour l'association !
J'adhère tout à fait à la devise de l'ONG : Echanger pour Changer ! Le continent africain est riche en ressources naturelles mais souffre sur le plan des structures et infrastructures. Son développement en cours doit se faire sur des bases saines, pour l'Entreprise, sa communauté et l'environnement : la RSE porte cet état d'esprit. RSE&PED qui en a fait son cheval de bataille est une petite structure aujourd'hui mais elle travaille sur de grands chantiers ! J'aimerais que ses soutiens se multiplient et qu'elle puisse ouvrir d'autres bureaux sur le continent. Nous avons besoin d'une dynamique entre les différents acteurs en Afrique pour faire émerger une RSE propre à nos pays. Nous pourrions y parvenir en mobilisant davantage le réseau des contributeurs de RSE&PED et en l'agrandissant. Nous pouvons commencer dès à présent par croiser nos expériences : les auditeurs de nos webinaires dans plusieurs pays du continent ont sûrement beaucoup à partager.
Le coronavirus va-t-il changer l'approche de l’entreprise et de la RSE en Afrique ?
H.A.M : La séquence actuelle remet clairement en cause le mode de fonctionnement de l'entreprise tel que nous le connaissons et l'interpelle sur sa raison d'être. Mais il y a déjà des retombées positives : au Maroc c'est l'apprentissage du télétravail qui était encore très rare ici ! La réduction des déplacements contribue positivement à l'environnement. Et nous avons vu plusieurs initiatives citoyennes de la part d’entreprises, par exemple Montandis, un regroupement de marques qui a fait des dons d'Eau de Javel à l'Etat ou Renault qui a mis en service ses ateliers pour réparer les ambulances. De jeunes marocains développent des méthodes et des matériels pour équiper les hôpitaux. Le coronavirus, dans sa brutalité, a aussi généré cette belle dynamique.
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