PHILIPPE BARRY, FONDATEUR DE L’INITIATIVE RSE SENEGAL, ET BASSIROU SYLLA, DIRECTEUR QSE DE SENELEC
07 sept. 2019
Ce qui me passionne dans l’aventure de RSE Sénégal c’est de faire de notre pays un laboratoire de la RSE pour l’Afrique de l’Ouest
Ils-elles ont créé des entreprises à impact positif, pilotent la responsabilité sociétale dans leur société, forment aux pratiques respectueuses du vivant, organisent la réflexion et la coopération. Ce sont les acteurs de l'économie positive en Afrique. Nous sommes heureux de leur donner la parole.
L'interview de Philippe BARRY et Bassirou SYLLA a été réalisée lors du 2ème séminaire des managers durables. Un événement organisé à Casablanca du 17 au 22 juin 2019 par l'Académie Durable Internationale (Patrick D'Humières, Olivier Gilbert) avec Des Enjeux et des Hommes (Agnès Rambaud), RSE Sénégal (Philippe BARRY et Amath BA), RSO Côte d'Ivoire (Franck EBA), le soutien de VEOLIA, d’ORANGE, de l'Ecole Centrale de Casablanca et de l’ONG AGADD.
Philippe Barry, vous êtes le fondateur de l’initiative RSE Sénégal. Quelles raisons vous ont amené à créer ce réseau d’entreprises ?
J’ai fondé RSE Sénégal en 2008 après avoir vécu deux expériences professionnelles marquantes : d’abord une collaboration dans un syndicat patronal pendant 20 ans, puis un projet de développement autour des foyers améliorés avec la coopération allemande. Cette deuxième expérience, très complémentaire, m’a permis de circuler sur tout le territoire, de rencontrer des interlocuteurs différents, artisans et groupement de femmes, et de comprendre les enjeux du développement durable. Mais elle m’a aussi ouvert les yeux sur le côté limitatif de l’aide au développement : parmi tout l’argent brassé, très peu arrive aux populations. Cela m’a amené à revenir vers le milieu de l’entreprise formelle, pour aider à y greffer cette notion de développement durable. J’ai d’abord créé un cabinet de conseil spécialisé en RSE, puis j’ai capitalisé sur mes 20 années d’animateur en milieu patronal pour fédérer les entreprises autour de la promotion de la responsabilité sociétale, d’où la création de l’Initiative RSE Sénégal.
La première étape de l’existence de RSE Sénégal a été marquée par l’adhésion de plus de trente entreprises, mais une partie d’entre elles n’étaient là que pour la visibilité et ne prenaient aucun engagement majeur, elles sont parties rapidement. Aujourd’hui nous avons une quinzaine d’entreprises adhérentes dans des domaines aussi différents que le ciment, l’énergie, l’informatique le BTP ou les laboratoires d’analyse médicale. Ces entreprises sont de toutes tailles, avec des PME sénégalaises comme Neurotech ou Bio24, un groupe international comme Eiffage ou un acteur national comme Senelec, la principale compagnie d’électricité du Sénégal. C’est une nouvelle génération d’acteurs avec de réels objectifs en matière de Développement Durable. D’ailleurs toute entreprise qui adhère au réseau doit signer notre Charte RSE mais aussi expliquer de quelle manière elle va l’appliquer en s’engageant dans une RSE stratégique.
Bassirou Sylla, vous êtes directeur Qualité Sécurité Environnement et chargé des questions RSE pour SENELEC. Quel type d’engagement a pris SENELEC dans ce domaine ?
SENELEC a des activités sur toute la filière de l’énergie, production, distribution et commercialisation. C’est une entreprise de 3000 employés avec un chiffre d’affaire annuel moyen d’environ 800 millions d’euros. Dans notre activité les impacts environnementaux, notamment les émissions de gaz à effet de serre, sont majeurs et concernent aussi nos clients qu’il soient entreprises ou particuliers. La direction générale de SENELEC l’a bien compris et nous a orienté sur la RSE il y a deux ans, pour en tenir compte dans l’élaboration de notre nouveau plan stratégique.
Le point clé pour nous est le coût de l’énergie et nous avons souvent pris les décisions sur la base de ce facteur. Désormais la décarbonation est aussi un paramètre du modèle d’affaire qui d’ailleurs rejoint la question du coût : nous savons que les énergies fossiles, qui sont peu efficaces, vont devenir de plus en plus chères et nous nous orientons vers un mix différent. Nous avons une puissance installée de 1 Giga watts qui reposait essentiellement Il y a trois ans sur le fuel. Notre président de la République a demandé de viser 30% d’énergie renouvelable en nous orientant vers le solaire et l’éolien. Nous avons déjà réalisé 10 centrales solaires qui vont couvrir une puissance d’environ 500 mégas, ce qui portera la production d’énergie renouvelable à 650 mégas avec l’éolien en 2020.
Elément très important également concernant le mix énergétique : après les découvertes de gisements offshore, le Sénégal va devenir un producteur de gaz. Les premières molécules seront exclusivement réservées à la SENELEC. Ce carburant est moins polluant et offre un coût de revient très acceptable pour booster l’économie.
Quelle méthode adoptez-vous pour maîtriser ces enjeux ?
Notre approche doit amener toute l’équipe dirigeante à porter ce projet. C’est désormais aussi important dans notre stratégie que de faire du chiffre et de la marge car l’Etat a définit des objectifs dans le plan Sénégal Emergent, avec des priorités au niveau de l’énergie. Il compte beaucoup sur l’apport organisationnel de Senelec sachant que sa stratégie de croissance va tirer tout le secteur. Nous avons par conséquent une priorité à mettre sur la formation des cadres au développement durable puisque ce sont eux qui vont mettre en place les politiques.
Pour placer notre mix énergétique et la part de renouvelables dans une rampe qui va s’élever en même temps que notre puissance, nous avons besoin d’évaluer notre empreinte carbone sur des bases scientifiques. Nous devons également partager cette démarche pour comprendre quels impacts auront nos orientations politiques et stratégiques en termes d’équipements et de croissance dans le pays. L’initiative RSE Sénégal nous permet de rencontrer nos clients, de partager nos orientations qui les impacteront demain par le tarif que nous leur proposerons mais également par la manière de fournir le service qu’ils ont acheté.
Enfin, pour faire de la RSE un levier pour l’ensemble de l’entreprise nous devons avoir une démarche formalisée. Le cabinet de Philippe Barry va nous aider à identifier nos enjeux, à définir notre matrice de matérialité dont va découler le plan d’action que le comité de direction portera. Notre directeur général parle de RSE dans toutes ses communications, il vient de le faire récemment dans une lettre d’orientation à l’ensemble du personnel en nous demandant d’identifier nos impacts présents et futurs sur le climat. Nous sommes très motivés pour finir ce processus de formalisation dans les délais qu’il a fixés et également mettre en œuvre le plus rapidement possible le plan d’action.
Philippe Barry – Quelle sont les priorités dans lesquelles vous engagez les entreprises du réseau aujourd’hui ?
Nous avons au Sénégal des enjeux fondamentaux partagés souvent par les entreprises et la société civile. D’abord la bonne gouvernance, l’éthique et la lutte contre la corruption mais aussi l’emploi des jeunes aujourd’hui très limité par le faible taux de structures formelles (à peine 2% des unités économiques recensées), l’accès aux services essentiels ainsi que l’environnement et la gestion des déchets. Voilà les enjeux sur lesquels j’interpelle les dirigeants d’entreprises de toutes catégories et nationalités, multinationales, entreprises familiales, sénégalaises, françaises et les autres, les canadiennes et les américaines qui sont souvent engagées sur la RSE mais aussi toutes les autres entreprises qui ne le sont pas du tout. Je les invite à faire un exercice de matérialité pour identifier des enjeux relatifs à leurs activités, tout en continuant à s’investir pour la communauté avec des projets structurants.
J’avais beaucoup d’attentes envers les multinationales mais elles ne sont pas engagées en nombre autant que je l’espérais. J’ai changé de stratégie et je vais maintenant essayer d’amener les entreprises à la RSE par la chaîne d’approvisionnement dans le cadre de la relation entre donneurs d’ordre et PME. Je souhaite mettre en place une notation des PME à l’image de ce que fait Ecovadis en France. Je m’intéresse particulièrement aux PME qui travaillent dans la zone d’influence des grandes entreprises et aux start-up créées par des entrepreneurs bien formés. C’est sur elles que l’Etat doit mettre l’accent pour atteindre les objectifs du Plan Sénégal Emergent.
Quels rôles jouent les investisseurs et les pouvoirs publics dans le développement de la RSE au Sénégal ?
Bassirou Sylla : Les bailleurs internationaux, la banque mondiale, le FMI, la SFI ont des exigences fortes et nous avons avec eux des programmes de mise en conformité très poussés. Nous sommes d’ailleurs en train d’écrire une procédure environnementale et sociale de nos projets à partir d’une enquête que nous avons déroulée avec nos investisseurs, nos bailleurs et les autorités étatiques. C’est un document qui sera publié, soumis aux autorités et aux bailleurs pour validation. Il deviendra notre cadre de travail en ce qui concerne la mise en conformité environnementale et sociale des projets.
Philippe BARRY : en effet les bailleurs de fonds sont actifs mais les pouvoirs publics ne se sont pas encore approprié la démarche et il manque un ancrage institutionnel. Le Sénégal est devenu un acteur pétrolier et gazier, c’est une nouvelle donne, et c’est maintenant que le pays devrait mettre l’accent sur la RSE. Les pays qui sont passés par cette phase transitoire nous le disent : il y a des textes à structurer pour définir ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas, Il ne faut pas attendre les catastrophes pour commencer à légiférer. J’ai soumis il a plusieurs années un avis au Conseil Economique, Social et Environnemental visant une obligation de reporting par exemple. Ce qui me passionne dans l’aventure de RSE Sénégal c’est de faire de notre pays un laboratoire de la RSE pour l’Afrique de l’Ouest.