APPOLINAIRE OUSSOU LIO, FONDATEUR DU GROUPE DE RECHERCHE ET D’ACTION POUR LE BIEN-ETRE AU BENIN

Je rêve d'adapter les principes de l'Economie Symbiotique à nos réalités locales. Je suis certain que nos pratiques traditionnelles épousent naturellement cette forme d’économie qui peut redonner l'espoir aux gens en leur permettant de rester chez eux, dans leur milieu

Ils ou elles ont créé des entreprises à impact positif, pilotent la responsabilité sociétale dans leur société, forment aux pratiques respectueuses du vivant, organisent la réflexion et la coopération...ce sont les acteurs de l'économie positive en Afrique. Nous sommes heureux de leur donner la parole. 

AGADD : Quel est la priorité de GRABE-BENIN, l’ONG que vous avez créée en 1996 ?

Appolinaire OUSSOU LIO : Nous travaillons à la conservation des ressources naturelles en nous basant sur les connaissances de nos ancêtres et le dialogue intergénérationnel. Aujourd’hui beaucoup d’adultes et d’enfants sont déconnectés de ces savoirs, chacun veut adopter les modèles de consommation tels que les véhiculent les médias de masse de notre pays. Personne n’attire l’attention de la jeune génération sur l’impact de ces choix sur la santé humaine et sur les équilibres économiques et écologiques que nos ancêtres avaient réussi à conserver au fil des générations. Nous avons la chance que quelques-uns des anciens vivent encore : nous avons estimé urgent d’aller à leur école, à l’écoute de leur sagesse, leur relation avec la nature, leurs pratiques spirituelles et sociales, leurs savoirs-faire, leur connaissance profonde de la biodiversité et leur capacité à éclairer avec ces connaissances les problèmes du présent pour construire l’avenir de la jeune génération. A partir de ce constat et dans la dynamique de Conférence de Rio de Janeiro nous nous sommes engagés dans les échanges sur le développement durable.

Quel a été l’élément déclencheur pour la création du GRABE-BENIN et les premières actions ? 

J’ai fait des études en sciences naturelles et géographie au Bénin puis à l’étranger. A mon retour au pays j’ai été choqué par la dégradation des écosystèmes de mon village : l’habitat de certaines espèces, surtout les singes, avait été détruit par la chasse commerciale, les grands arbres tels que les irokos et les baobabs, coupés, les forêts et sites sacrés livrés à des fréquentations anarchiques, les grillons anéantis par les engrais chimiques, alors que la pauvreté avait pris une ampleur inquiétante.

Outre mes études, j’avais travaillé au Kenya avec le professeur Wangari Maathai sur le Green Belt Movement, et en Afrique du sud, du vivant de Nelson Mandela, sur la transmission intergénérationnelle avec une approche connue là bas sous le nom de «M’bewu» et SEGNI (Social Empowerment through Group and Nature Interaction) en Ethiopie. Ces expériences m’ont porté, elles m’ont donné une vision de la lutte à mener : j’ai créé le GRABE-BENIN dans cet élan. 

Nos premières réalisations étaient la création de Clubs Nature et Culture, développés par la Fédération des clubs "Connaître et Protéger la Nature" (CPN), une organisation née en France à Boult-au-Bois et dont je suis membre. Le CPN est un espace d’apprentissage, une école de la nature où se rassemblent tous ceux qui ont soif de la connaître et de la protéger. J’ai profité de ma position de professeur de sciences naturelles pour mettre en place des clubs dans les classes où j’intervenais. Beaucoup des membres de ces premiers clubs sont devenus aujourd’hui des professeurs, des cadres de l’administration, le GRABE-BENIN est aujourd’hui dirigé par l’un d’entre eux. De trois clubs au début, nous avions été jusqu’à soixante-dix, ensuite nous nous sommes focalisés sur les enfants des familles pauvres, en utilisant les cours de renforcement gratuits que nous leur offrions pour renforcer leur sensibilité à l’environnement. Nous accordons toujours un intérêt tout particulier aux orphelinats et aux enfants en grande difficulté.

En 2006, j’ai créé une ferme-école à Avrankou avec le programme « Graine future » : une retraite fermée de  4 à 5 jours organisée périodiquement pour des jeunes sélectionnés dans les clubs. Au cours de cette retraite, nous créons le contact entre les jeunes et les adultes à travers des causeries, des contes, des visites dans la nature, des séances de méditation, des partages d’expérience, des apprentissages manuels. Ces activités mobilisent les sages, enseignants retraités ou dignitaires religieux qui proposent aux jeunes un contenu lié aux quatre âges de la vie : naissance, enfance, adulte, vieillesse. A la fin de ce séjour, nous veillons à ce que chaque jeune rentre avec dix plants et nous organisons des visites de suivi pour apprécier le soin qu’il en aura pris. Pour moi, cette action constitue le premier niveau de la conscience écologique.

A la ferme nous faisons aussi avec les paysans des essais de de production sans engrais chimique. Car ces petits exploitants béninois souffrent : ils n’ont pas de gros moyens pour mettre en place de systèmes d’irrigation ni pour se doter des engrais de synthèse auxquels on les a habitués. Si nous n’avions pas dit halte aux OGM, ils attendraient aussi les graines... Ce combat contre la mort programmée des petits agriculteurs nous mobilise au quotidien. 

APPOLINAIRE OUSSOU LIO, FONDATEUR DU GROUPE DE RECHERCHE ET D’ACTION POUR LE BIEN-ETRE AU BENIN

Quelle place et quelle mise en évidence pour les savoirs traditionnels ?

Nous travaillons avec les rois, les chefs traditionnels, pour identifier et sauver ce qui peut encore l’être : leur rôle a été fortement dévalorisé dans la société béninoise et ils ont progressivement négligé leur patrimoine naturel et culturel. Par exemple dans les années 80, les pythons qui sont inoffensifs ici et que nous vénérions ont été accusés de sorcellerie, tués et mangés. Résultat prévisible : l’équilibre écologique a été rompu. Les rats que les pythons effrayaient auparavant se sont multipliés, les maïs ont été ravagés et la production agricole a baissé. Avec GRABE-BENIN nous avons réintroduit des pythons dans les forêts, mais aussi des tortues et des varans. Nous avons ramené le samba, un arbre sacré, l’iroko, le baobab, l’hysope africaine qui a une grande puissance purificatrice et qui est aussi un antibiotique.

Nous avons remis en place des interdits et des totems. Ils ont un sens : ils permettent à une communauté de conserver une ressource et de la rendre disponible pour les autres. Les forêts sacrées sont des conservatoires de la biodiversité et des savoirs, ce sont nos bibliothèques. La plupart des artisanats locaux et des soins traditionnels en sont issus. Certaines hébergent des couvents, d’autres sont des cimetières pour nos ancêtres ou abritent une divinité qui évoque toujours la relation homme-nature. Dans le passé cette relation était capitale : avec les quatre éléments, l’eau, l’air, la terre et le feu, l’homme forme les cinq doigts de la main. On allait dans les forêts sacrées pour faire une retraite, se recueillir, méditer et apprendre. Beaucoup d’entre elles ont déjà été détruites mais nous nous battons pour leur reconnaissance comme des aires protégées. Nous avons mis en place ce qu’on appelle les APAC, les Aires et territoires du Patrimoines Autochtones et Communautaire.

Je suis moi-même prince d’une communauté, le peuple Tolinou principalement Djaka Whaénu Atawé. Mon père, un chef traditionnel, m’a emmené très jeune dans la forêt et initié aux plantes médicinales auxquelles la grande majorité des villageois ont encore recours aujourd’hui pour se soigner.

APPOLINAIRE OUSSOU LIO, FONDATEUR DU GROUPE DE RECHERCHE ET D’ACTION POUR LE BIEN-ETRE AU BENIN

Avez-vous aussi une réflexion sur le plan économique ?

Bien sûr, changer notre système économique est une priorité ! J’ai rencontré Isabelle Delannoy en Europe et j’ai été fortement impressionné par sa vision de l’Economie Symbiotique : je rêve d’en adapter les principes aux réalités ici. Je suis certain que nos pratiques traditionnelles épousent naturellement cette forme d’économie qui peut redonner l’espoir aux gens en leur permettant de rester chez eux, dans leur milieu.  Mais comment éduquer pour que le partage et la complémentarité retrouvent place dans ce monde ? Le problème est culturel : d’une part, tout le monde veut passer des diplômes pour entrer dans la fonction publique et toucher le salaire en fin de mois, personne ne s’intéresse plus à l’agriculture. D’autre part, il y a ici des solidarités locales mais elles sont ruineuses et mal dirigées : on dépense des sommes folles en cérémonies lors d’un décès, parfois en s’endettant, alors que la personne malade n’est pas aidée de son vivant. Ici des gens meurent de n’avoir pas trouvé 150 francs cfa pour se soigner.

Cette éducation pour une économie solidaire et locale commence par la promotion des produits endogènes qui sont négligés au profit de produits d’importation. Les tomates en boite, les produits congelés ou les marchandises qui viennent du Nigéria ont fait augmenter le budget de la nourriture sans parler des problèmes de santé et des maladies chroniques qui explosent au Bénin. Or les gens ici ont de très faibles revenus, ils n’ont plus d’espoir. Ils en arrivent souvent à brader leur terre, qui est leur seul moyen de subsistance et aussi la source de leur histoire personnelle. Ils achètent une moto-taxi, partent en ville… Une fois qu’ils ont tout dépensé, il n’y a plus rien pour eux ni pour l’éducation des enfants. Nous intervenons auprès des villageois pour leur demander de ne pas vendre leur terre, ou au moins d’en garder une partie. Cette question des terres et de leur emploi est cruciale : l’explosion démographique en cours est une bombe. En quelques années la population de notre commune a été pratiquement multipliée par dix. Nous devons absolument trouver une forme plus rationnelle de gestion des ressources.

Pour réduire la dépendance à l’argent, chacun peut faire sa propre production bio et familiale, y compris le salarié qui a besoin de cela pour vivre dès lors qu’il ne détourne pas d’argent. J’ai mis autour de ma maison beaucoup de légumes, igname, manioc, jérusalem, etc, pour donner à réfléchir à mes visiteurs. Les démonstrations culinaires basées sur les légumes sauvages et les nourritures ancestrales sans produits toxiques comme le glutamate communément appelé « cube », a rencontré un succès formidable au sein des communautés.

Dans l’économie Il faut aussi une place pour le réemploi, l’échange, et la confiance. Le système de la tontine, que nous mettons en œuvre ici avec une dizaine de jeunes est un bon exemple. 50 000 CFA sont collectés entre nous chaque mois et sont remis aux porteurs de projets. Les caisses communautaires installées dans plusieurs communautés surtout avec les femmes, donnent déjà des fruits de solidarité agissante et de promotion de l’économie locale. Dans cette même optique nous essayons de rendre la ferme-école autonome, en basant la production végétale et animale sur les principes agro-écologiques, en partageant et en troquant avec les communautés. Nous avons déjà un terrain, mais nous avons besoin de financements complémentaires pour mener l’expérience au bout. 

La technologie n’est pas exclue de tout cela. Je fais partie du comité de mise en œuvre d’un projet pilote sur le numérique dans quatre communes au Bénin. Tout le monde a un portable ici, il pourrait permettre de connaître le prix de vente des produits avant de se déplacer, de partager les problèmes et les solutions. Le numérique ne doit pas aliéner mais donner aux gens une vision sur le monde et une capacité à se faire connaître.

APPOLINAIRE OUSSOU LIO, FONDATEUR DU GROUPE DE RECHERCHE ET D’ACTION POUR LE BIEN-ETRE AU BENIN

Quels réseaux de soutien existent aujourd’hui autour du GRABE-Bénin ?

Ce sont d’abord les jeunes avec lesquels nous travaillons qui apportent des idées.

Sur le plan des moyens c’est difficile, mais on se bat ! Je ne suis pas rémunéré pour l’ONG, je suis secrétaire général d’une mairie pour pouvoir l’aider. Les cotisations des membres nous permettent de faire des petites activités, des amis de France nous ont offert un bus pour la bibliothèque mobile avec laquelle nous allons dans les villages. Grâce au PNUD nous avons pu accompagner le projet des forêts et sites sacrés. Le projet est terminé et  nous conduisons maintenant une étude pour asseoir le cadre juridique des APAC. Nous avons surtout des soutiens associatifs dont I’IUCN, l'AMNG, Nice Future, Gaia Foundation, FCPN, le Social Watch, le forum biodiversité Bénin et la coalition verte, et le réseau africain pour la biodiversité (African Biodiversity Network) dont je suis le vice-président. 

Je suis également membre du comité exécutif de l’Alliance des Gardiens de la Mère Nature. C'est une alliance mondiale des peuples autochtones créée en 2017 pour défendre nos droits, faire entendre notre voix ensemble pour que nous ne disparaissions pas avec nos connaissances. Nous ne voulons pas rester dans des luttes revendicatives, nous voulons agir pour apporter au monde un mieux-disant durable.

APPOLINAIRE OUSSOU LIO, FONDATEUR DU GROUPE DE RECHERCHE ET D’ACTION POUR LE BIEN-ETRE AU BENIN
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