Si tous les acteurs se mobilisent, nous pouvons réussir ensemble le déploiement de la RSE au Bénin dans les trois prochaines années.

Ils-elles ont créé des entreprises à impact positif, pilotent la responsabilité sociétale dans leur société, forment aux pratiques de production respectueuses du vivant, organisent la réflexion et la coopération...ce sont les acteurs de l'économie positive en Afrique. Nous sommes heureux de leur donner la parole. 

RSE-Bénin, l'ONG qui veut arrimer la Responsabilité Sociétale des Entreprises au développement économique béninois.

Au Bénin où la notion de Responsabilité Sociétale de l’Entreprise est encore dans les limbes, une ONG a mis le sujet au cœur de son action. RSE Bénin travaille depuis cinq ans à faire émerger ce concept pour que le décollage économique en Afrique et particulièrement au Bénin ne se fasse pas au détriment de l’environnement et des populations. A l'occasion du "Café RSE" que l'ONG organise le 12 octobre 2018 à Cotonou, rencontre avec Sahoudatou Orédola PIO, Directrice exécutive,  et Yacoub BITOCHO, Président de RSE Bénin. 

Quel parcours personnel vous a amenés à la RSE, un concept encore pratiquement inconnu au Bénin ?

Sahoudatou Orédola PIO : Juriste en droit des affaires et carrière judiciaire, j’ai travaillé dans un cabinet d’avocat. Mon premier contact avec la RSE ou plutôt son absence, ce sont les dossiers que nous recevions à propos de plaintes pour violations du droit du travail : licenciement abusifs, non-respect des congés... Comme j’avais soif de justice et d’équité sociale, j’ai rejoint l’équipe d’une ONG de promotion des droits de l’homme. C’est lors de cette collaboration que j’ai eu la chance de participer en 2013 à une formation organisée par Sherpa sur la responsabilité sociétale des entreprises transnationales. De la théorie, de la pratique, des visites de terrain...nous avons vu beaucoup d’aspects de la RSE. Cela m’a passionnée et, avec d’autres, j’ai souhaité passer à l’action. Nous avons créé RSE Bénin au lendemain de cette formation.

Yacoub BITOCHO : J’ai une double formation en droit public et en communication. Je suis aussi président de l’association ATTAC Bénin et c’est en cette qualité que Sherpa m’avait demandé d’intervenir dans cette même formation pour parler des entreprises au Bénin. Comme Sahoudatou, cette formation a été l'élément déclencheur qui m’a amené à la création de l'ONG.

Quel aspect de la formation a été déterminant ?

SOP : Ce sont les déplacements sur le terrain. Nous avons visité en particulier une entreprise d’exploitation de clincker (un constituant du ciment, ndlr) située en pleine ville, qui expose la population riveraine à des poussières jusque dans les habitations. Le linge est sali par la poussière, la peau devient blanche, on trouve des dépôts dans l’eau... Les habitants vivent avec, ils n’ont pas de solution. Cela nous a beaucoup choqués. C’est en voyant cela que nous avons pris l’engagement de faire quelque chose pour que les entreprises, quel que soit leur domaine d’activité, aient des comportements socialement responsables. Il y a du travail : les industriels ici déversent encore souvent leurs déchets toxiques dans les égouts, parfois même dans les points d’eau ou sur la voie publique là où les enfants viennent s’amuser.

YB : L’avènement de la RSE permettra aussi de mettre au jour les conditions de travail des collaborateurs dans les entreprises. Les employés manquent souvent d’une protection sociale et d’une attention portée à la sécurité. Cela rejoint notre préoccupation chez ATTAC qui est le droit des travailleurs. Nous voulons attirer l’attention du gouvernement et des autres acteurs et faire changer les comportements.

En tant que juristes vous connaissez bien le cadre législatif au Bénin. A quel niveau est l’encadrement juridique sur la protection de l’environnement ?

SOP : Il y a des lois, l’arsenal juridique du Bénin est même très riche. En matière d’environnement nous avons d’abord la constitution du 11 décembre 90 en son article 27, nous avons ensuite une Agence Béninoise pour l’Environnement et un plan d’action, nous avons enfin une loi-cadre sur l’environnement qui relie tout cela. Les entreprises qui s’installent doivent obligatoirement faire un diagnostic sur leurs impacts environnementaux avant de démarrer les activités. Mais il est rare qu’elles obéissent à toutes les dispositions légales.

YB : En pratique, des tractations ont souvent lieu entre l’entreprise et les responsables territoriaux, pour des enjeux politiques et financiers. La population n’est pas informée et les arrangements se font à son détriment. Le respect strict du cadre législatif est donc rare. Mais il faut noter que le pouvoir en place depuis 2016 semble susciter un renouveau des attentes et des comportements. C'est un effort qu’il faut saluer.

Avec quelle intention et de quelle manière approchez-vous les entreprises ?

SOP : La plupart du temps, la dénonciation et la critique ne sont ni efficaces ni justifiées puisque nous n’avons pas de cadre législatif sur la RSE elle-même et qu’elle émerge à peine. Donc nous allons vers les entreprises dans une approche partenariale et positive. Nous voulons faire comprendre aux dirigeants les bénéfices en termes de réputation qu’ils gagneraient auprès de la population avec une démarche RSE intégrée dans leur stratégie. Lorsque les entreprises comprennent l’enjeu sur ce volet elles adhèrent assez facilement.

YB : L'autre axe de travail de RSE-Bénin est l’information car même si les entreprises communiquaient sur leurs actions de RSE aujourd’hui, personne ne comprendrait de quoi il retourne. RSE Bénin est là pour sensibiliser les populations sur ce concept et leur faire comprendre qu’elles sont en droit d’avoir des attentes envers les entreprises. C'est d’ailleurs tout l’écosystème qu’il faut former à la RSE : les employés, les clients, les fournisseurs, les ONG aussi, très nombreuses ici.

RSE-Bénin, l'ONG qui veut arrimer la Responsabilité Sociétale des Entreprises au développement économique béninois. RSE-Bénin, l'ONG qui veut arrimer la Responsabilité Sociétale des Entreprises au développement économique béninois.

Quels types d’actions avez-vous menées depuis la création de l’ONG il y a cinq ans ?

SOP : Nous menons surtout des campagnes de communication, d'information et de plaidoyer à l'endroit des entreprises et des autorités publiques. En 2016 nous avons conduit un programme de sensibilisation contre la corruption, une des questions centrales de l’iso 26 000. Les entreprises étaient partantes et assez impressionnées : elles n’avaient pas pris conscience qu’elles avaient des moyens d’action pour stopper ce fléau. Avant cela en 2015, au moment de la COP21, nous avons amené les entreprises à dire de quelle façon elles luttaient contre le changement climatique. Nous avons organisé les échanges entre les dirigeants et la population. Les secteurs qui ont répondu présents, l’hôtellerie, la transformation alimentaire ou les métiers de la mécanique ont formulé des recommandations qui ont été présentées à Paris en décembre 2015. Nous avons organisé et diffusé au plan national des séries de webinaires sur le devoir de vigilance, le lien entre entreprises et droits de l'homme etc.

Vers quels secteurs vous tournez-vous prioritairement et comment contactez-vous les entreprises ?

SOP : Depuis un an nous avons mis en place les « cafés RSE », un creuset de partage d’expériences et de bonnes pratiques entre entreprises, thématisé par secteur d’activité. Nous constatons d’abord les impacts sur le terrain, nous interrogeons les riverains, puis nous adressons une invitation aux sociétés concernées pour qu’elles viennent dialoguer avec d’autres entreprises, la population et nous. Par exemple nous avons travaillé sur l’extraction de l’eau souterraine, avec le secteur alimentaire, particulièrement avec le réseau de cuisson des poulets au gril qui compte des milliers de points de vente au Bénin. Selon la manière dont le poulet est cuit au-dessus du charbon, les fumées peuvent être toxiques. Certains ont développé des techniques pour la viande ne soit pas en contact avec la flamme et des échanges très concrets ont eu lieu à ce propos. Notre prochain Café RSE organisé avec notre partenaire Eco-Bénin se tient le 12 octobre prochain sur le thème "Entreprises et Biens Publics Mondiaux". Nous l'avons fait précéder d'une visite et partage de bonnes pratiques avec l'entreprise Okouta Carrières sur le site d'extraction de granit à Setto. 

RSE-Bénin, l'ONG qui veut arrimer la Responsabilité Sociétale des Entreprises au développement économique béninois. RSE-Bénin, l'ONG qui veut arrimer la Responsabilité Sociétale des Entreprises au développement économique béninois. RSE-Bénin, l'ONG qui veut arrimer la Responsabilité Sociétale des Entreprises au développement économique béninois.

Quels types d’entreprises vous semblent les plus avancées dans l’appropriation de la RSE ?

SOP : Les entreprises les plus actives sont les filiales des grands groupes internationaux auxquelles les Sièges sociaux imposent leurs exigences. L’obligation de reporting RSE en Europe et la vigilance sur la chaîne d’approvisionnement ont des répercussions heureuses ici. C’est le cas de Bolloré, de CIM Bénin, de MooV et de MTN, dont le Siège est en Afrique du Sud, un pays très avancé sur la RSE. Ensuite nous avons les groupes implantés sur le territoire mais dirigés par des européens. Ils sont en général sensibles au sujet et essaient de mettre en place des actions. FIFA, une société de production et d’embouteillage d’eau minérale en est un bon exemple.

Dans les entreprises béninoises, la RSE quand elle existe se confond avec le mécénat et les actions caritatives et en second lieu avec la participation au bien-être de leurs employés.

Quand au secteur informel, il ne s’agit pas de prendre la RSE à la lettre bien sûr, mais cela ne veut pas dire que rien n’est fait : c’est une RSE endogène, propre à l’Afrique et au Bénin. Beaucoup de petits patrons mettent en place une forme de couverture sociale en organisant des prélèvements à la source pour les redistribuer lorsqu’un employé a un événement heureux ou malheureux dans sa vie. Ces patrons prennent souvent en charge des orphelins, ou financent leurs études. Dans ce secteur, la RSE c’est la contribution des entreprises au bien-être des communautés, qui est aussi un pilier du développement local.

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Que faites-vous lorsqu’une atteinte grave à l’environnement est constatée ?

SOP : Lorsque la population est victime des agissements des entreprises, nous dénonçons publiquement ces dernières par communiqué de presse, par les réseaux sociaux. Nous l’avons fait en juin dernier, en lançant une pétition avec l’environnementaliste Brice Sohou contre l’usine chinoise de Yueken International qui empoisonnait la rivière Klou depuis de nombreuses années. Notre mobilisation, en soutient des autres ONG et de la population a conduit l’Agence Béninoise pour l’Environnement à fermer le site. L’entreprise n’avait pas fait l’étude d’impact environnemental et devra le mener avant de pouvoir rouvrir. C'est une grande victoire pour nous et surtout pour les populations locales et les béninois dans leur ensemble.

Nous alertons aussi sur la pose des antennes GSM en centre-ville, parfois installées sur le toit des maisons en déni total du principe de précaution. Les personnes qui vivent très près de ces relais ont souvent des troubles graves du sommeil. Nous continuons à dénoncer cet état de fait malgré les pressions que nous recevons. L’étude sur l’impact sanitaire est désormais en cours et nous attendons la suite. Certains groupements de citoyens, comme c’est le cas à Calavi, ont déjà eu gain de cause et ont pu refuser l’installation des antennes, c’est un bon signal.

Enfin la décision parue le 10 aout dernier sur la condamnation de Monsanto nous rappelle que le glyphosate est un sujet chez nous aussi : le gouvernement béninois a reçu en avril dernier plus de 500 000 litres de ce produit sur les 900 000 qui ont été commandés. Le glyphosate est envoyé directement aux agriculteurs qui l’utilisent sans savoir lire les notices et sans aucune mesure de précaution. Les enfants finissent par jouer avec les boites et par boire de l’eau dedans... Nous avons lancé un communiqué pour interpeller le gouvernement. 

De quels profils est constituée l’ONG et comment vous répartissez vous le travail ?

YB : Nous sommes environ trente-cinq personnes dans l’ONG, avec beaucoup de juristes et avocats, des spécialistes de l’environnement et des finances, des experts en économie, en planification, en sociologie, en agronomie, un journaliste spécialisé en droits de l’homme, etc. Nous avons un conseil d’administration de cinq personnes et cinq autres pour la direction exécutive. Je suis le Président du Conseil d'Administration, Sahoudatou est la directrice exécutive. Tout récemment nous avons lancé un appel à adhésion et les gens se sont manifestés. Nous sommes en train de les sélectionner.

Avec quels autres acteurs pouvez-vous agir au Bénin ?

SOP : Beaucoup d’ONG avec lesquelles nous collaborons ont des actions sur l’environnement ou sur les droits de l’homme. Eco Bénin par exemple, qui traite du tourisme durable devient notre partenaire sur les cafés RSE. Mais RSE Bénin est la seule à avec une approche complète du sujet. Au sein du gouvernement, la Direction Générale du Suivi et de la Coordination des ODD, qui a diligenté une étude récemment sur la RSE au Bénin, est attentive à nos travaux. Des cabinets de conseils arrivent aussi sur la question. Nous avons participé le 20 septembre dernier à la rencontre organisée par Mindo Consulting. Parmi les partenaires internationaux, RSE&PED nous aide beaucoup sur l’organisation des événements, l’OIF (L’Organisation Internationale de la Francophonie), le Campus Numérique Francophone, l'Agence Française de Développement, la Région Bretagne et la Maison de la Société Civile nous soutiennent également.

Le monde universitaire s’intéresse-t-il au sujet ?

Avec le Prof. Martin DUMAS le 27 juillet 2018

YB : Le CAT, le Centre Africain du Travail dans l’Ecole Nationale d’Administration et de la Magistrature est un centre de recherche dont les travaux sur le droit du travail et la protection sociale relèvent de la RSE. Le professeur Martin Dumas de l'Université Laval au Canada a été invité dernièrement à échanger sur le thème : "Les enjeux de la RSE et du droit protecteur au regard des formes modernes d'organisation du travail et du développement durable". Le CAT porte un projet inter universitaire sur la RSE qui sera focalisé sur l’exploitation minière avec deux universités au Canada, une en Côte d’Ivoire et l’université d’Abomey Calavi au Bénin.

Sur ce campus d’Abomey Calavi nous avons mis en place deux clubs RSE (FASEG et FADSP) où les étudiants se rencontrent pour échanger sur la RSE, avec un évènement fédérateur tous les 1ers décembres. A la fin de l’année nous organiserons les “olympiades de la RSE”, pour les encourager à continuer les réflexions, et nous solliciterons les entreprises pour soutenir l’opération. Mais pour aller plus loin, il manque au Bénin une formation sur la RSE ou une chaire sur le sujet.  Il y aura de nouveaux postes dans l’avenir qui doivent intégrer cette vision dans la conduite de l’entreprise.

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En fonction du développement économique du Bénin, quel secteur vous semble prioritaire pour l’intégration de la RSE dans les années à venir ?

SOP : Le secteur de la construction est crucial, en termes de sécurité, de préservation de l’environnement et de Droits de l’Homme. Il amène dès aujourd’hui énormément de transit sur les routes pour transporter le gravier. Les conditions dans lesquelles ces matières sont extraites, le travail des enfants, les pollutions, l’impact sur l’érosion côtière ou l’accaparement des terres sont autant de points de vigilance. Et nous allons bientôt voir arriver des immeubles et des tours dans Cotonou... Est-ce que les normes environnementales seront respectées ? Est-ce que l’étude du sol sera faite ? Certains immeubles construits à Porto Novo il y a vingt ans penchent déjà dangereusement car une partie des sols, très marécageux, ne convient pas pour des constructions importantes. Dans ce secteur, la RSE est nécessaire pour attirer l’attention des décideurs et protéger toutes les parties des risques potentiels. Nous avions lancé une enquête sur le sujet mais certaines personnes ont peur des représailles et ne sont pas coopératifs, nous avons dû stopper.

RSE-Bénin, l'ONG qui veut arrimer la Responsabilité Sociétale des Entreprises au développement économique béninois. RSE-Bénin, l'ONG qui veut arrimer la Responsabilité Sociétale des Entreprises au développement économique béninois.

Quelle sont vos projections sur les trois prochaines années ? 

SOP : D’ici 2021 notre rêve est d’avoir mis en place un réseau d’entreprises engagées au Bénin. Cela passera par la réalisation d’une cartographie, la mise en relation de ces entreprises entre-elles, le partage de leurs bonnes pratiques et l’exposition au moins une fois par an via un forum RSE. Nous projetons d’élaborer une charte RSE que signeront les entreprises.

Mais pour réaliser cela nous avons besoin de l’accompagnement des partenaires techniques et financiers du développement, pourquoi pas le PNUD, ou d’autres au plan international. « Un seul doigt ne peut pas boucher la jarre trouée » dit le proverbe, autrement dit, seuls nous n’y arriverons pas. Nous profitons de cette interview pour lancer une demande aux partenaires qui partagent notre vision. Si tous les acteurs se mobilisent maintenant autour du concept de la Responsabilité Sociétale de l’Entreprise, nous réussirons à opérer son déploiement au Bénin dans les trois prochaines années.

YB : Pour ma part j’ai deux souhaits supplémentaires : le premier est que l’Etat mette en place une obligation de reporting RSE pour les entreprises. Cette pratique fait maintenant partie des conditions d’exercice à l’international et fournira une matière première très intéressante pour former les autres chefs d’entreprises. Le second c’est que les PTF, les Partenaires Techniques et Financiers, qui accompagnent souvent les ONG, accompagnent aussi les entreprises elles-mêmes dans l’intégration de la RSE et sa plus grande visibilité. Avec ces conditions remplies nous arriverons à l’émergence économique de nos Etats tout en garantissant un développement durable.

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