Rencontre avec Franck EBA, Directeur agro-industriel de Sucrivoire Borotou-Koro, Président de RSO CIV
29 mai 2018En Afrique, l'entreprise est un acteur du développement à part entière.
L'interview de Franck EBA été réalisée à l’occasion de son intervention dans le 1er séminaire des managers durables d’avenir en Afrique. Un évènement organisé à Casablanca du 8 au 12 mai 2018 par l'Académie Durable Internationale (Patrick D'Humières) avec Des Enjeux et des Hommes (Agnès Rambaud), RSO au Maroc (Aziz DERJ), RSE Sénégal (Philippe BARRY et Amath BA), RSO Côte d'Ivoire (Franck EBA), le soutien de VEOLIA et de l'Ecole Centrale de Casablanca.
D’où est parti le réseau RSO en Côte d’Ivoire ?
Le groupe SIFCA a été moteur dès 2007, année de la publication du premier rapport développement durable. Avec la remontée des cours des matières premières, et aussi sous la pression des bailleurs de fonds, il y a eu un engouement pour la RSE de la part des acteurs économiques en Côte d’Ivoire. Nous avons beaucoup communiqué pour former et sensibiliser les autres entreprises et les autres organisations pour qu’elles rejoignent la dynamique. En octobre 2012, sous l’initiative de la Confédération générale des entreprises de Côte d'Ivoire (CGECI), en partenariat avec le Centre africain de gouvernance des organisations (CAGO) et l'ambassade du Canada, RSE Côte d’Ivoire est né avec la première édition du forum international de la RSE en Côte d'Ivoire sous le thème «Responsabilité sociétale : une source de paix, de développement économique, social et environnemental en Afrique». La dynamique était lancée. En juillet 2015, avec un groupe de chercheurs, d’experts en RSE et d’auditeurs du Centre d’Etude et de Recherche d’Actions pour la paix (CERAP) nous avons opté pour migrer de « RSE » à « RSO » afin d’élargir le champ de la Responsabilité Sociétale à toutes les organisations.
Quels sont vos enjeux et qu’avez-vous mis en pratique dans le groupe SIFCA ?
Nos enjeux sociaux et sociétaux sont importants : le groupe SIFCA joue un rôle majeur partout où il opère en Afrique de l’ouest. A travers ses 30 000 employés, il permet de fixer la population en province et d'éviter ainsi l'exode rural vers les capitales. Nous contribuons au développement local parce qu’on ne peut pas concevoir de mener nos activités économiques dans des régions sans tenir compte des attentes et des besoins des populations locales. Par conséquent, partout où le groupe SIFCA s’installe, au-delà d’offrir de l'emploi, il inclut des actions de responsabilité sociétale dans ses activités en soutenant l’éducation et la santé, en construisant ou réhabilitant des infrastructures sociales telles que des écoles, des maternités et des centres médicaux ouverts aux communautés locales. Un de nos engagements forts est la lutte contre le paludisme et le sida. Nous sommes de véritables acteurs du développement dans les contrées où nous sommes implantés.
Il y a aussi la « Licence to Operate » : quand on s’installe sur des milliers d’hectares dans des régions reculées, il faut savoir se faire accepter par les populations, elles doivent comprendre ce que nous faisons et y participer car comme on dit chez nous, nous sommes « leurs filles et fils ». Parfois, nous faisons face à des conflits fonciers ou ethniques, nous avons connu des crises socio-politiques et nous avons dû concilier cela avec l'activité. Il n’y a pas de recette miracle, c’est à force de pratique, d’expérience et de respect de l’homme, de sa culture, de ses coutumes et de ses traditions que nous sommes arrivés aujourd’hui, à travers toutes ces crises, à maintenir et développer l'activité économique.
On termine sur l’enjeu environnemental car nos activités ont un impact. On peut citer la pratique d’une agriculture raisonnée, la production d’énergie verte avec de la biomasse, le reboisement de la forêt, la construction de logements et d’infrastructures écologiques avec la valorisation des matériaux locaux, le compostage, le recyclage des sachets plastiques en pavés ...
Pendant votre intervention dans le séminaire, avec les deux médecins salariés de SIFCA qui comptent parmi les participants, quel message passerez-vous à vos homologues ?
J’ai été directeur développement durable pendant 7 ans. Pour ce faire, j'ai travaillé à l’élaboration de la stratégie et à la structuration de la démarche RSE d'un grand groupe dans dix filiales réparties sur quatre pays en Afrique de l’Ouest, anglophones et francophones, dans certaines zones qui sont sorties de crise socio-politique. Ensuite j’ai été coopté directeur opérationnel sur un site isolé et éloigné « Borotou-Koro » à 800 Km d’Abidjan, ce qui me donne l’occasion de mettre en œuvre les actions de RSE concrètement sur le terrain. Nous sommes venus passer le message que la RSE doit prendre en compte les réalités locales, culturelles et sociales, là où l’activité s'exerce. Si on ne tient pas compte des besoins primaires non assouvis, des us et coutumes dans les villages, des sensibilités, des religions, on aura d’énormes difficultés à mettre en œuvre la RSE. Dans tel contexte spécifique il est difficile de l’appliquer comme en Europe. Ce que nous voulons montrer, c’est que les africains souhaitent et sont capables d’y aller mais à leur rythme.
Il y a des valeurs africaines qui sont aussi cohérentes avec les démarches de RSE ?
Bien sûr. Pour moi, après analyse, le développement durable c’est aussi un retour vers les valeurs africaines d’antan, hélas perdues dans certains pays du continent. Par exemple, l’hospitalité, la solidarité, la culture du mérite, la gestion raisonnée des ressources, l’utilisation des plantes médicinales... Un autre exemple, quand nos ancêtres allaient à la chasse pour nourrir le village, ils n’abattaient pas tout le troupeau de buffles ou d’antilopes, ils tuaient juste ce qu’il leur fallait, aujourd’hui cela se fait de façon déraisonnée. Sans être chimistes ils fabriquaient leur savon bio. Ces valeurs africaines sont de bonnes valeurs auxquelles il faut revenir. Même chose pour la propreté, l'hygiène, le respect ... Mais il faut progresser au bon rythme. Par exemple certaines exigences coutumières excluent malheureusement les femmes des décisions importantes. Il faut amener nos interlocuteurs de façon progressive et diplomatique à les intégrer, si l'on va trop vite tout se bloque. Il faut une approche africaine des choses pour pouvoir avancer. Je vais donc faire toucher du doigt les réalités terrain de la RSE aux participants.
En retour quel est l’apport de ce premier séminaire pour vous ?
Je suis ravi que ces intervenants de qualité venus d’Europe et d’Afriques viennent nous éclairer sur les politiques mondiales et les dernières pratiques en matière de développement durable. Cela nous permet de nous tenir informés des innovations et parfois de rectifier le tir, pour que nous puissions nous aussi rester dans la dynamique de la création. Cette initiative, que j’encourage totalement, doit être reconduite. Nous croyons au changement et à notre réussite.
Bio Franck EBA, Directeur agro-industriel de SUCRIVOIRE, Borotou-Koro
Franck EBA est titulaire d’un doctorat en sciences pour l’ingénieur option traitements de surface de l’Université des Sciences et Techniques de Besançon (France) depuis 1996. En 2006, il complète sa formation avec un Master en Administration et Gestion des Entreprises à l’Ecole de Commerce et de Gestion d’Abidjan (ECG).
En octobre 2007 il intègre le groupe SIFCA, leader ouest africain en agro-industrie en tant que directeur développement durable. De 2008 à 2014, Il contribue à l’amélioration des conditions de travail, du cadre de vie des employés et des relations avec les communautés locales environnantes.
Parallèlement, il intègre les constructions écologiques qui conduisent à une économie de 3 Millions d’euros, il fait enregistrer deux projets «Mécanisme de Développement Propre» basés sur la production d’énergie verte, et il publie les premiers rapports DD/RSE du groupe SIFCA en Côte d’Ivoire et de la sous-holding SIPH en France. Ces performances lui valent en 2011 le prix de la meilleure stratégie RSE d’Afrique au 1er forum des pionniers de la RSE à Douala (Cameroun).